Vers un travail écologique : penser les tensions et articulations

Appel à contribution dossier thématique n°29

Date de livraison des papiers => 31 mai 2022 // Date de parution => Octobre 2022

Coordination: Alexis Cukier, David Gaborieau, Vincent Gay

La crise des écosystèmes connaît depuis quelques années une accélération dangereuse. Devenue visible à travers le recul de la biodiversité, le dérèglement climatique, l’acidification des océans, la multiplication et l’ampleur inédites des incendies de forêt, la fonte de la calotte polaire ou le dégel du permafrost, la crise écologique est en passe de franchir des seuils à partir desquels un scénario catastrophe devient probable et les prochaines décennies seront décisives pour l’éviter ou en limiter les conséquences. À ce jour, pourtant, le business as usual de l’exploitation des énergies fossiles se maintient, le capitalisme se fait de plus en plus destructeur des ressources, tandis que l’accumulation du capital s’accélère y compris dans le champ écologique (stratégies d’entreprise de décarbonation, construction d’une expertise, recours à la digitalisation…).

Malgré les rapports du GIEC qui mettent en évidence la détérioration de la situation ou encore les accords de sommets successifs consacrés au climat, en particulier celui de Paris (2015), on ne peut nier le fait que l’ensemble des acteurs gouvernementaux tardent à prendre les mesures draconiennes pour réduire les émissions de CO2. Beaucoup cultivent l’illusion, qu’il demeure possible de juguler cette crise par le biais de la géo-ingénierie. Les grandes puissances (G20) tout comme les pays émergents semblent enchevêtrés dans leurs contradictions géopolitiques, prisonniers d’une compétition sans fin entre blocs économiques ou pris en otage par certains secteurs de l’économie, en premier lieu le capitalisme fossile. Jusqu’à présent, la gouvernance de la crise écologique demeure tout aussi inexistante qu’inefficace, en dépit de tentatives d’instrumentalisation des questions écologiques par des acteurs du marché (greenwashing) voire par des courants écologistes. Nonobstant ces initiatives, par l’intensité croissante de la crise écologique, la question écologique gagne en importance, au niveau mondial mais aussi local face au développement des impacts de la crise climatique, énergétique, biologiques sur l’environnement.

Face à cette montée des périls, la question du travail pourrait apparaître comme secondaire. De fait, elle est souvent absente dans le débat public mais aussi dans les recherches académiques concernant la crise écologique. Pourtant, dans un monde où 90% de la population tire ses revenus de l’activité de travail (agricole, industriel, de services), engager la réflexion sur une transformation écologique du travail et des emplois soulève des enjeux fondamentaux. De prime abord, rares semblent être les tentatives d’avancer dans cette direction. Certes, il existe des expériences, certaines anciennes, de mobilisations écologiques de collectifs de travail prenant pour cible notamment la pollution, qui ont cherché à articuler amélioration des conditions de travail et défense de l’environnement. Et plus récemment en France, des initiatives syndicales, au niveau local ou confédéral, ont contribué à une prise en compte inédite des enjeux écologiques et à des amorces de collaboration avec le mouvement écologiste. En même temps, force est de constater que les mobilisations sociales défendant le pouvoir d’achat ou un emploi de qualité ne tournent pas systématiquement le dos au productivisme et que, dans certaines industries, la défense de l’emploi peut primer sur l’impact environnemental de ces derniers. Le chantage à l’emploi constitue un contexte qui depuis les années 1980 pèse sur de telles luttes, contribuant à effacer d’autres dimensions liées à la question de l’emploi. Et sans doute qu’une fraction non-négligeable du salariat est loin d’avoir fait le deuil d’un mode de vie et de manières de travailler dont l’empreinte écologique dépasse de loin ce que notre écosystème peut encore supporter dans les années à venir.

Avec la révolution industrielle et la généralisation d’une économie marchande (capitaliste), l’exploitation extensive des ressources naturelles a franchi un seuil qui menace l’équilibre de l’écosystème planétaire. Face aux « dégâts du progrès », les dynamiques du capitalisme orientent vers des solutions technologiques de type « écomodernistes » qui permettent d’entretenir l’illusion d’une « croissance verte ». En même temps, la perspective d’une atténuation de la crise écologique suscite aussi un grand nombre de projets d’aménagement et de réformes, tant au niveau de la conception du bâti que de l’habitat, des transports, de la logistique, de l’abandon des énergies fossiles ou de certains produits chimiques. Parallèlement se développent de nouvelles expérimentations et luttes pour des activités productives écologiquement responsables (comme par exemple la ZAD de Notre Dames des Landes, les reprises de terre respectant les principes de l’agro-écologie, le réseau associatif Terres de liens, la coopérative Ambiance Bois, les luttes syndicales de l’Office national des forêts…) qui impliquent souvent des rencontres inédites et parfois des coopérations démocratiques entre des travailleurs et des habitant.e.s, usager.e.s, militant.e.s.

Toutefois, dans beaucoup de ces configurations, le travail est tout sauf « écologique ». Il peut être gravement nuisible pour la santé de celles et ceux qui travaillent, consomment ou habitent à proximité des lieux de production. Et s’il peut également être une potentielle source de bien-être, parfois pour les mêmes, voire contribuer à une bonne santé pour d’autres, il correspond le plus souvent à des productions de biens et de services dont les modalités concrètes impliquent une dégradation des écosystèmes. Cette mise en question du travail ne devrait pas, comme c’est trop souvent le cas, déboucher sur une mise en accusation des travailleurs qu’on rendrait à tort responsables des méfaits de la production, de l’inutilité ou de la mauvaise qualité de ce qu’ils et elles produisent. Les salariés aspirent au contraire à la reconnaissance de activité et de leur contribution au bien-être collectif. Ignorer cela peut engendrer des réactions de défense. Il faudrait au contraire insister, dans la réflexion, sur ce qui fait que, dans le système productif actuel, écologie et travail se trouvent souvent mis en opposition : comment les questions de conditions de travail sont-elles dissociées, par les institutions du travail mais aussi par la division du travail syndical et parfois par la recherche académique, des questions de préservation de l’environnement ? Une partie des difficultés actuelles de la rencontre entre les mondes du travail et les mondes de l’écologie pourrait s’éclairer si l’on explique comment, depuis les débuts de la préoccupation au sujet des risques industriels, risques pour l’environnement et risques pour la santé des travailleurs ont été dissociés, au détriment de ces derniers.

C’est à partir de l’analyse de la tension qui polarisent travail et écologie que nous appelons à examiner les avancées, les obstacles et les perspectives du devenir écologique du travail, dans ses dimensions passées et présentes. Dans cette perspective, nous invitons à proposer des contributions visant à répondre à ces questions :

  • Quelles leçons tirer des mobilisations passées et présentes en faveur d’une prise en compte des enjeux écologiques au niveau du travail et de l’emploi ?
  • Comment appréhender les transformations énergétiques ou les activités productives éco-responsables, visant à réduire l’empreinte carbone, les pollutions ou la destruction des écosystèmes à brève échéance ?
  • Comment penser l’articulation entre travail et écologie en lien avec des modes de domination (de classe, genre, race…) étroitement imbriqués aux dynamiques d’atteinte au vivant et dont la remise en cause est par conséquent un élément clef des processus en cours ?
  • Au-delà de la question des impacts environnementaux, la transformation des types de production soulève de nombreux dilemmes, comme par exemple l’accroissement des volumes de main d’œuvre nécessaire ou le retour d’un certain type de pénibilité. Comment penser les contradictions du travail écologique et les conditions de son développement ?
  • Quels enseignements peut-on tirer des innovations managériales, tant sur le plan comptable (marché carbone, RSE) qu’organisationnel ?
  • Quels freins et obstacles peut-on identifier du côté des organisations syndicales, tant au niveau doctrinal que sur le plan des pratiques (dialogue social, relations professionnelles). A l’inverse qu’est-ce qui explique les avancées relatives en vue d’un « éco-syndicalisme » quand elles ont été possibles ?
  • Quelle évaluation faire de l’action des pouvoirs publics, que ce soit sur le plan des politiques fiscales ou des dispositifs réglementaires (législation environnementale, responsabilité des entreprises au niveau de l’assainissement ou en cas d’accidents industriels) ?
  • Quels bilans peut-on tirer des premières avancées dans la création d’« emplois verts » (emplois climat, la construction de bâtiments passifs ou à faible consommation énergétique, électrification du parc automobile, etc.) ainsi que des initiatives (comme le rapport « Un million d’emplois pour le climat ») visant à les systématiser ?

Le dossier accueille des contributions théoriques et empiriques, y compris des enquêtes encore en cours, en préservant une ouverture à l’ensemble des sciences sociales (sociologie, économie, histoire, philosophie, droit et sciences politiques) et aux diverses disciplines qui prennent l’environnement pour objet (histoire environnementale, écologie humaine, anthropologie et sociologie de l’environnement, etc).

Taille maximale des contributions 40 000 signes espaces et notes incluses

Pour contacter les coordinateurs du dossier :

alexis.cukier@univ-poitiers.fr

vincent.gay@univ-paris-diderot.fr

david.gab@wanadoo.fr

Pour toute correspondance avec le collectif éditorial : info@lesmondesdutravail.net

Télécharger l’appel à contribution n° 29 (pdf)

 

 

 

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