Appel à contribution le dossier du n°30 (printemps 2023)
Dossier coordonné par Sophie Béroud (Univ de Lyon 2), Jérôme Pélisse (SciencePo Paris)
Un ensemble de mesures (lois et ordonnances) prises sous les mandats présidentiels de F. Hollande et d’E. Macron ont remodelé en profondeur le cadre et les formes des relations professionnelles en France. De la loi Rebsamen et de la première loi Macron (2015), en passant par la loi Travail (2016) et les ordonnances (2017), une véritable entreprise idéologique et pratique de refonte à la fois du droit du travail, mais aussi d’institutions comme les Prud’hommes et surtout des formes de la représentation syndicale s’est déployée au nom de la promotion d’un « dialogue social » plus « professionnalisé ». L’objet de ce numéro consiste à en proposer un bilan critique, étayé par des études empiriques, en restituant la cohérence interne de ces différentes réformes, c’est-à-dire en traitant aussi bien des implications liées à la mise en place des CSE sur le travail de représentation syndicale (mais aussi sur celui des DRH) dans les entreprises, que de la transformation des formes d’intervention sur les questions de santé au travail et de conditions de travail après la disparition des CHSCT (et la mise en place des CSSCT) ou encore de la profonde déstabilisation de l’institution prud’homale, de moins en moins sollicitée ces dernières années. Centré sur la France, le dossier visera à interroger avant tout les implications de ces changements sur les pratiques des principaux acteurs des relations professionnelles en faisant varier les échelles d’observation (du local au national). Il permettra in fine de questionner par là même la singularité de ces évolutions dans un contexte plus large, au niveau européen, voire international. Plusieurs thématiques pourraient ainsi être abordées :
1) On pourra s’interroger sur la transformation des liens de représentation entre les salariés et les représentants du personnel (élus au CSE, membres de leurs diverses commissions, représentants de proximité) dans des contextes de réduction des mandats, des heures de délégation mais aussi de fonctionnement des CSE sur des périmètres souvent larges. Des études empiriques menées dans le cadre des enquêtes Post-Réponses DARES, pour France Stratégie ou dans d’autres contextes (projets collectifs de recherche, doctorats, mémoires de masters) pourront être ici mobilisées afin de rendre compte de divers phénomènes. On peut évoquer les difficultés d’appropriation ou d’endossement des mandats d’élus au CSE ou de représentants de proximité, dans un contexte de renouvellement des candidats imposés par les dispositions sur la parité ; la façon dont ces nouveaux mandats s’articulent entre eux (et comment cela se traduit en termes d’offre d’engagement pour les salariés), mais aussi des processus de désengagement rapide ou, à l’inverse, de possibles revitalisations du rôle des délégués syndicaux, soutenus par l’inversion de la hiérarchie des normes qui fait des accords d’entreprise (pour lesquels, de manière générale, les délégués syndicaux ont le monopole de la signature), la source de production principale des règles du travail depuis 2016 et 2017. Des éclairages particuliers pourraient être apportés sur les TPE / PME, et notamment sur des entreprises qui ne disposaient pas d’IRP avant la mise en place des CSE. A quel point l’instauration de celui-ci a -t-il permis de formaliser les relations sociales pré-existantes et comment analyser ce qui s’est joué dans ce processus d’institutionnalisation ? Comment ces nouvelles instances et leur fonctionnement permettent-ils d’interroger à nouveau frais l’imbrication entre les dimensions formelles et informelles des relations sociales en entreprise et de dépasser l’opposition entre ces deux manières, formelles et informelles, de construire, se rapporter et utiliser les règles dans les situations de travail ?
Dans la lignée de ces premiers questionnements, il pourrait être également intéressant d’éclairer les dynamiques de professionnalisation des élus, tant au regard de ce ces derniers font concrètement dans les instances, de la façon dont ils les préparent, mais aussi au regard des formations qui leur sont proposées et des compétences attendues ou promues qu’ils développent pour exercer leurs mandats. Des éclairages sur les pratiques effectives des « formations communes au dialogue social » instaurées depuis 2016, entre représentant.es des employeur.ses et représentant.es des salarié.es pourraient être ici bienvenues. Il s’agira aussi de voir comment les élus CSE ont réussi à investir les CSSCT et en stabiliser le périmètre d’intervention : observe-t-on un réinvestissement des anciens élus CHSCT dans ces nouvelles commissions ? A quel point la période de crise sanitaire a-t-elle favorisé une stabilisation et une montée en puissance éventuelle des CSSCT existantes ?
Des contributions pourront également porter sur d’autres acteurs des relations professionnelles (inspecteurs du travail, juges prud’homaux, experts auprès des CSE et CSSTE) ou d’autres procédures (référendum par exemple), en rendant compte de la manière dont les changements institutionnels liés aux lois Travail et aux ordonnances Macron pèsent également sur leurs pratiques et leurs usages.
2) Au-delà de la transformation des acteurs, le dossier accueillera aussi avec intérêt l’analyse de négociations d’accords. Il pourra s’agir d’accords d’entreprise, d’établissement, d’Unité économique ou sociale ou de groupe, mais aussi de branche ou d’accords nationaux interprofessionnels dont les paramètres ont changé avec les réformes engagées dans la dernière décennie. La redéfinition du rôle des branches et des accords d’entreprise, autant que celui du Code du travail, devenu supplétif pour bon nombre de règles (mais pas sur tous les thèmes non plus !), pourra notamment être interrogée en étudiant les usages qui en sont faits par les acteurs, tout comme le développement des accords de performance collective. Un volet d’analyse des discours pourrait aussi être envisagé afin de repérer les conditions de production et de circulation dans différents espaces sociaux et professionnels (clubs, think tanks, instituts de formation, ouvrages…) des principales formules ou éléments de langage associés à la promotion d’un « dialogue social » fortement décentralisé, à qui l’Etat et les légistes laissent a priori fortement la main.
3) Enfin, un troisième axe pourra s’intéresser aux évolutions des modes de régulation des tensions et des conflits dans le monde du travail, en lien avec les transformations que connaît ce dernier aussi bien en termes de digitalisation, automation, numérisation qui touchent aussi bien les activités de travail que les statuts d’emploi. Le développement accru de relations professionnelles procéduralisées, mais aussi, sur d’autres plans, de rapports de force plus ou moins explicites et brutalement affirmée, pourrait être étudié sur divers types de terrains. Monographies d’entreprise, analyses sectorielles ou territorialisées des manières, par exemple, dont les relations professionnelles sont de plus en plus enrôlées par l’action publique, instrumentalisées par certains acteurs, investies (ou désinvesties) comme espaces de résistance constituent autant de manières possibles d’explorer ces transformations récentes des relations professionnelles. Celles-ci contribuent-elles à une redistribution des cartes et à un basculement des modes de régulations du travail dans un contexte de verticalisation des pouvoirs et d’accroissement des relations de concurrence entre travailleurs.ses, entre entreprises, entre pays ? Ou ne font-elles qu’infléchir des évolutions, ne se trouvant, comme de nombreuses réforme auparavant, que faiblement appropriées par les acteurs ? La gestion de la pandémie qui s’est diffusée en 2020 et les mesures prises pour y faire face – du quoi qu’il en coûte visant à soutenir les entreprises et les salariés, aux ordonnances du 30 mars 2020 autorisant de nouvelles et amples dérogations en matière de temps de travail, en passant par la diffusion inégalement généralisée du télétravail et les impacts très variables de la gestion de la pandémie sur les activités de travail – constitue également un accélérateur autant qu’un révélateur d’évolutions en cours des relations professionnelles, que les articles pourront aussi envisager.
Les propositions pourront porter enfin, au-delà de ces trois axes, sur d’autres aspects des transformations des relations professionnelles depuis une dizaine d’années en France. Les recours à la justice du travail (en forte baisse aux prud’hommes), les thèmes et enjeux des négociation (des conditions de travail au salaire, à la formation, aux temps ou lieux de travail), les répertoires d’action qu’emploient leurs acteurs (y compris patronaux ou managériaux, dans les entreprises mais aussi en dehors) pour se coordonner et s’affronter, déplacer des rapports de force, imposer ou résister à des projets de réforme, de réorganisation, de restructuration ou de gestion renouvelée de la main d’œuvre, constituent autant d’entrées possibles qui pourront trouver place dans le dossier.
Les articles, d’une taille d’environ 40 000 signes, sont attendus pour le 15 octobre 2022. Des projets d’articles de 3000 signes (maximum) peuvent être envoyés en amont, avant le 6 mai 2022 aux coordinateurs du dossier, aux adresses suivantes : sophie.beroud@univ-lyon2.fr et jerome.pelisse@sciencespo.fr. avec copie à info@lesmondesdutravail.net