Les travailleurs du Sud étatsunien sont la clé du changement social

Par Michael Goldfield // 

Michael Goldfield est Professeur Emerite de Sciences Politiques et chercheur associé au Fraser Center for Workplace Issues de l’université de Wayne State. Il a été militant des droits civiques et syndicaliste. Il a publié un grand nombre d’ouvrages dont The Decline of Organized Labor in the United States (1987), The Color of Politics: Race and the Mainsprings of American Politics (1997), ainsi que son livre le plus récent The Southern Key: Class, Race, and Radicalism in the 1930s and 1940s (2020).

Michael Goldfield sera en France prochainement pour participer à plusieurs évènements :

  • Le 1 février 2023, 17h-19h: Conference-Débat: « Luttes sociales et luttes féministes aux USA. The Fight for Workers’ Rights & Women’s Rights in the US Today » // Sorbonne Nouvelle, Maison de la Recherche de la Sorbonne Nouvelle, 4 rue des Irlandais, 75005 Paris, Salle Athéna.
  • Les 2-3 février 2023, au colloque : « Le Sud des États-Unis au cœur des enjeux politiques américains : classe, race et espaces au prisme de l’œuvre de Michael Goldfield » Site web du colloque : https://sudetatsunis.sciencesconf.org/
  • Le mardi 7 février : Discussions et échanges avec un intellectuel engagé (lieu à préciser)

Voici u résumé des arguments majeurs de son dernier ouvrage The Southern Key

L’importance du Sud dans la compréhension des Etats-Unis

Le Sud est aujourd’hui, comme il l’a toujours été, une clef essentielle pour comprendre la société étatsunienne : sa politique, ses anomalies constitutionnelles et sa structure gouvernementale, sa culture, ses relations sociales, sa musique et sa littérature, l’orientation des médias et leurs angles morts, et pratiquement tout le reste. Le Sud est une partie distincte et atypique des États-Unis, mais c’est aussi un sous-ensemble à l’image de son ensemble. C’est donc une réalité cruciale à comprendre.

Le fondement de cette compréhension commence, non pas par la culture ou l’histoire sociale du Sud, mais par son économie et les relations raciales et sociales qui l’ont soutenue. W.E.B. Du Bois, peut-être le plus pénétrant – et, à mon avis, le plus grand spécialiste nord-américain des sciences sociales du XXe siècle, l’avait bien compris. Du Bois soutient implicitement que la réponse à la vieille question, posée à l’origine par Werner Sombart, « Pourquoi n’y a-t-il pas de socialisme aux États-Unis ? » (dans le sens où les États-Unis étaient le seul pays industriel à ne pas avoir vu l’émergence d’un parti ouvrier, socialiste, social-démocrate ou communiste significatif sur le plan électoral et soutenu par une fraction significative de la classe ouvrière) se réduit en fait à « Pourquoi n’y a-t-il pas de libéraux progressistes dans le Sud ? ».

Le Sud, selon Du Bois, était intrinsèquement réactionnaire, de sorte qu’il ne pouvait y avoir « aucun mouvement tiers réussi » dans le pays dans son ensemble (il entendait par là un mouvement avec une orientation pro-ouvrière de gauche), du moins jusqu’à ce que le Sud change radicalement.

Cette histoire, bien sûr, commence à l’époque coloniale britannique, d’abord avec le développement des cultures de tabac et de sucre, puis de coton, toutes produites en grande partie par le travail des esclaves. Je souhaite ici me pencher sur l’histoire plus récente du Sud, en particulier sur l’échec, dans les années 1930, 1940 et 1950, de la syndicalisation des principales industries du Sud (dont le succès, selon moi, aurait pu transformer radicalement le Sud, et donc les Etats-Unis dans leur ensemble), un facteur qui joue un rôle central dans la compréhension de la nature de l’Amérique d’aujourd’hui. En outre, l’échec des syndicats à organiser dans le Sud les travailleurs des deux côtés de la « ligne de couleur » n’était pas du tout prédéterminée, ni à l’époque ni aujourd’hui.

Le caractère unique du Sud

L’héritage de l’esclavage et de la suprématie blanche a laissé dans le Sud d’aujourd’hui un mépris insensible pour la dignité humaine et le caractère sacré de la vie humaine (malgré la force des militants anti-avortement prétendument pieux). Cela se reflète entre autres dans la répartition des exécutions de la peine de mort. Plus de 80 % des 1 460 exécutions depuis le rétablissement de la peine de mort en 1976 ont eu lieu dans le Sud, dont plus de la moitié dans trois États seulement : le Texas, l’Oklahoma et la Virginie. Ce manque de respect pour la vie humaine est lui-même l’héritage de l’esclavage et du système des plantations. Le faible niveau d’aide sociale aux personnes dans le besoin (qu’il s’agisse de soins de santé pour les enfants, d’assurance chômage, d’indemnisation des accidents du travail et de prestations d’invalidité) est sans doute également aussi le reflet de ces attitudes.

Le Sud continue à ce jour d’avoir les niveaux les plus bas de syndicalisation, les lois les plus antisyndicales (c’est là que se trouve l’écrasante majorité des lois anti-travail dites « droit au travail »[1]) et les violations les plus flagrantes de la sécurité des travailleurs. Il n’est pas surprenant que ce soit la partie du pays où le niveau et le soutien à l’éducation scolaire et aux soins de santé publics sont les plus faibles. Et, c’est probablement loin d’être une coïncidence que le Texas soit aujourd’hui, malgré sa relative aisance, l’État qui compte le plus grand pourcentage de personnes sans assurance maladie. En 2015, 17,1 % des Texans n’avaient pas d’assurance maladie, soit près du double de la moyenne nationale de 9,4 %. Sur les vingt-deux États où la proportion de non-assurés est supérieure à la moyenne nationale, onze se trouvent dans le Sud.

Les faibles niveaux de syndicalisation sont en grande partie la cause de tant d’ignorance et de superstition. Le manque d’organisation de la classe laborieuse conduit à l’atomisation, à l’individualisme et à une réceptivité accrue à la manipulation par les intérêts économiques dominants. En conséquence, le Sud est la région où le plus grand pourcentage de personnes sont des Créationnistes, rejettent la théorie de l’évolution et l’existence du réchauffement climatique, malgré les preuves du contraire sur ces questions. C’est dans le Sud qu’il existe une pression législative accrue pour l’enseignement du créationnisme dans les écoles publiques – par exemple, le projet de loi du Texas (HB 1485) qui permettrait effectivement aux enseignants d’enseigner à la fois le créationnisme et le déni du changement climatique.  Et le Sud est l’endroit où Donald Trump bénéficie du plus grand soutien, en particulier parmi les Blancs.

Il ne s’agit pas de dire que le Sud est foncièrement infréquentable et mauvais. Le Sud a joué un rôle important et enrichissant dans la culture américaine, sa cuisine, en tant que berceau du blues et du jazz, et bien plus encore. La littérature américaine serait moins riche sans nos écrivains du Sud (dont certains ont émigré de leurs lieux de naissance oppressifs). Plus récemment, c’est le site de nombreuses grandes universités et de centres de recherche, dont certains forment beaucoup plus de doctorants afro-américains que les institutions du Nord, prétendument plus libérales et tolérantes sur le plan racial. 13 des 20 premiers établissements délivrant des doctorats à des Noirs se trouvent dans le Sud.

C’est aussi la région où se sont déroulées certaines des luttes populaires les plus vaillantes du pays. Dans de nombreux endroits, les Blancs et les Noirs ont lutté ensemble contre la sécession menée par les propriétaires d’esclaves avant la guerre civile, s’engageant même dans une guérilla contre les confédérés dans le comté de Jones, au Mississippi. Des organisations syndicales interraciales ont été organisées avec succès dans tout le Sud à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, sous la bannière des Knights of Labor, puis des Industrial Workers of the World. Les batailles syndicales interraciales des années 1930 et 1940 et les luttes pour les droits civiques des années 1950 à 1970 dans le Sud ont été des sources d’inspiration au siècle dernier.

Néanmoins, le Sud reste, comme Du Bois l’a affirmé de manière si poignante, une région réactionnaire distincte du pays, et ce depuis l’époque coloniale.

Mythes sur la culture du Sud

Il existe une variété de mythes, promulgués en grande partie par une vaste littérature sociologique, qui attribuent les faibles niveaux de syndicalisation dans le Sud aux attitudes et à la culture des travailleurs du Sud. Les travailleurs y seraient trop individualistes pour se subordonner à une organisation collective. En outre, il est également avancé (de manière un peu contradictoire) que le passé agricole des travailleurs les rend particulièrement soumis aux figures d’autorité, peu enclins à faire grève ou à défier ceux qui sont au pouvoir.  Pourtant, le dossier historique, comme je tente de le documenter, dans mon ouvrage récemment publié The Southern Key : Class, Race, and Radicalism in the 1930s and 1940s, dément cette conclusion.

Les travailleurs du Sud, qu’ils soient blancs ou noirs, ont un riche héritage de lutte et d’organisation, depuis l’organisation des 19ème et 20ème siècle sur les docks de la Nouvelle-Orléans, jusqu’à la vaste organisation interraciale de la fin du 19ème siècle dans de nombreuses industries sous la rubrique des Chevaliers du travail. Les travailleurs du bois du Sud, en particulier en Louisiane et au Mississippi, se sont syndiqués de manière interraciale, sous la direction militante des Industrial Workers of the World de 1911 à 1913, tandis que les travailleurs du Sud, comme leurs compatriotes du reste du pays, se sont organisés de manière interprofessionnelle pendant la Première Guerre mondiale.

Dans les années 1930 et 1940, alors que les travailleurs industriels de l’ensemble du pays s’organisaient, les travailleurs du Sud ont également formé des syndicats, bien que de manière moins importante que dans le Nord. Je souhaite mettre en lumière une région surprenante où ils étaient particulièrement forts – l’État de l’Alabama.

L’exceptionnalisme de l’Alabama

L’Alabama, avec le Mississippi, la Caroline du Sud, la Louisiane et la Géorgie, était le cœur du Sud profond. Contrôlée par les propriétaires de plantations de la Black Belt et leurs alliés industriels de Birmingham, votant pour le candidat présidentiel « Dixiecrat » (NdT appellation combinant le Dixieland comme identité régionale et celle de Démocrates) Storm Thurmond de Caroline du Sud en 1948, partisan fervent de son gouverneur ouvertement raciste George Wallace en 1964 et 1968, l’Alabama semble être un endroit peu propice à l’enracinement du libéralisme progressiste et du radicalisme interracial. Même dans les années 1960, par exemple, les 1 600 Blancs du comté de Lowndes avaient une représentation égale au niveau de l’État à celle du ½ million de citoyens vivant dans le comté de Jefferson, qui comprenait Birmingham (les 23 000 Noirs du comté de Lowndes, comme ailleurs dans la majeure partie de l’Alabama, étaient complètement privés de leurs droits). Les lynchages, l’enchaînement de victimes et la ségrégation rigide faisaient partie du paysage.

Pourtant, en 1946, lorsque James (« Big Jim ») Folsom, soutenu par le CIO (Congres of Industrial Organisations) et populiste de gauche, est élu gouverneur, le toujours optimiste Nation déclare que l’Alabama est « l’État le plus libéral du Sud ». Bien que Folsom soit un peu unique, même en Alabama, il n’est pas le seul. L’Alabama avait l’habitude d’élire des candidats relativement pro-travaillistes et non ségrégationnistes au niveau de l’État, notamment les sénateurs Hugo Black, Lester Hill et John Sparkman. Cependant, même dans ce contexte, Folsom se démarque. Se qualifiant lui-même de « grand ami du petit homme » (il mesurait 6’8″ et pesait bien plus de 270 livres), il était carrément ancré dans la tradition du populisme radical des collines de l’Alabama.

Folsom, contrairement à la plupart des autres gouverneurs du Sud, ne se contentait pas de plaider pour plus d’opportunités pour les Noirs, il déclarait explicitement que “la race était un faux problème, un stratagème utilisé par les riches et les puissants pour diviser les pauvres et les aveugler sur leurs intérêts communs. » Il s’est opposé à une Poll Tax (taxe d’habitation forfaitaire NdT) et a fait valoir que tous les Afro-Américains d’Alabama devaient avoir le droit de vote.  Il mettait un point d’honneur à accueillir les Afro-Américains à ses meetings de campagne, leur serrant la main comme tout le monde. Et, alors même que la tempête de la réaction blanche enveloppait l’Alabama, ainsi que le reste du Sud, Folsom (qui avait été élu pour un second mandat en tant que gouverneur en 1954) en novembre 1955, non seulement invita le flamboyant membre afro-américain du Congrès de Harlem Adam Clayton Powell à la Statehouse, mais le fit prendre en limousine à l’aéroport et fut photographié dans le manoir du gouverneur en train de boire du scotch avec lui. Il a qualifié la résolution quasi unanime de l’assemblée législative de l’Alabama – déclarant que la décision de la Cour suprême de 1954 dans l’affaire Brown contre Board of Education (qui a jugé à l’unanimité que la ségrégation scolaire était inconstitutionnelle) était nulle et non avenue en Alabama – de « foutaises ». Bien entendu, je ne veux pas dire que Folsom était un militant des droits civiques ou un intégrationniste convaincu, mais simplement qu’il se situait bien en dehors du consensus Dixiecrat qui régissait la majeure partie de la politique du Sud à l’époque.

Alors, pourquoi l’Alabama – un État Dixiecrat pur et dur du Sud profond – a-t-il semblé pendant un temps être si différent ? Bien sûr, l’Alabama comptait sa part de Blancs de l’arrière-pays, qui s’irritaient de la domination de leur État par les Dixiecrates et leurs alliés, qui n’avaient que faire de la suprématie blanche. Nombre de ces régions s’étaient historiquement opposées aux propriétaires de plantations de la Black Belt. Elles s’étaient opposées à la sécession et avaient souvent combattu pour l’Union pendant la Guerre de sécession, soutenu les populistes dans les années 1890, et même voté pour le candidat socialiste Eugene Debs à la présidence en 1912 et 1920. Pourtant, cela ne les rendait pas uniques dans le Sud, et leur nombre en Alabama n’était pas particulièrement élevé par rapport aux autres États.

Ce qui rendait l’Alabama exceptionnel, c’est que dans les années 40, c’était l’Etat le plus syndiqué du Sud. Les effectifs syndicaux étaient passés d’environ 70 000 en 1933 à plus de 200 000 en 1945, soit plus de 25 % de la population active cette année-là. Pour mettre cela en perspective, le pourcentage de travailleurs syndiqués en Alabama en 1945 était plus élevé que celui existant dans n’importe quel État des États-Unis aujourd’hui. Le mouvement ouvrier de l’Alabama était centré sur la région de Birmingham, le fief des United Mine Workers, qui avaient déjà montré leur force en 1928 en prenant la tête d’une coalition qui a réussi à abolir le travail des prisonniers dans l’État. Les quelque 23 000 mineurs de charbon syndiqués de l’Alabama étaient clairement l’avant-garde du mouvement ouvrier, contribuant à l’organisation de tous les autres travailleurs de l’État dans les années 1930, y compris les sidérurgistes, les travailleurs du bois, les travailleurs du textile, les enseignants et même les directeurs d’école dans un comté.

Ils ont été rejoints par d’autres dans la région de Birmingham, notamment des sidérurgistes et des travailleurs des mines de métaux, par dizaines de milliers. Il y avait également des enclaves industrielles à travers l’État où les travailleurs du textile et d’autres usines étaient organisés, notamment à Gadsden et à Huntsville. Les travailleurs de la construction navale et ceux qui travaillaient pour la Tennessee Valley Authority, une entreprise fédérale située à Muscle Shoals, en Alabama, étaient pleinement organisés. Enfin, les débardeurs de l’Alabama – dont 95 % étaient noirs – étaient organisés, y compris ceux de Mobile, le plus grand port de l’Alabama. Dans les années 1930 et 1940, les zones syndiquées ont constamment soutenu des candidats plus libéraux, pro-travailleurs et non ségrégationnistes, tout en s’opposant aux Poll taxes[2]. Ainsi, le niveau élevé de syndicalisation en Alabama suggère le degré auquel une syndicalisation plus poussée de l’Alabama et du Sud dans son ensemble aurait pu transformer politiquement la région.

L’organisation de tous les travailleurs comme enjeu en Alabama

Les mineurs de charbon ne luttaient pas seulement pour eux-mêmes, mais avaient une vision large de leur rôle et de leurs responsabilités au sein du mouvement ouvrier. Cela était certainement évident dans les comtés miniers du nord de l’Alabama. Dans le Walker Country, juste au nord-ouest du Jefferson County (ce dernier contenant Birmingham), les mineurs de charbon, comme leurs confrères d’ailleurs, se sont pleinement organisés en 1933. Ils ont ensuite procédé à l’organisation des travailleurs de pratiquement toutes les autres industries et professions, from wall to wall (de mur à mur). Non seulement les mineurs de charbon, mais aussi les nombreux travailleurs du bois, les porteurs de bogues, les lavandières, les prédicateurs et les enseignants se sont tous syndiqués. Selon le Union News, le journal du CIO du comté de Walker, le comté était le comté le plus fortement syndiqué du pays, avec, du moins selon un rapport, même les directeurs d’école syndiqués. Ce qui était le cas dans le comté de Walker l’était également dans de nombreux autres comtés du nord de l’Alabama, où les mineurs de charbon étaient organisés. Les mineurs de charbon étaient également les plus fervents partisans de la Farmers Union, qui a réussi dans le nord de l’Alabama à syndiquer les métayers et les locataires noirs et blancs, non seulement dans le comté de Walker, mais aussi dans les comtés de Bibb, Tuscaloosa, Marion et Shelby.

Les mineurs de charbon d’Alabama ont montré la voie à tous les autres travailleurs et les ont soutenus dans leurs luttes. Les travailleurs du textile en Alabama ont été parmi les premiers à s’organiser dans le Sud. Parmi les travailleurs du textile du Sud, ils étaient à l’avant-garde des événements qui ont mené à la grève générale du textile de 1934, et de loin le plus fort contingent du Sud. Ils ont été renforcés par leur capacité à compter sur le soutien immédiat des plus de vingt-trois mille mineurs de charbon organisés dans l’Etat, et par un gouvernement d’Etat plus réticent que beaucoup d’autres, en particulier dans le Sud, à mobiliser ses pouvoirs répressifs pour soutenir les propriétaires des entreprises textiles, dont ils devaient peser la force politique contre celle de la main-d’œuvre fortement syndiquée.

Les travailleurs du Sud se sont organisés avec succès au cours des années 1930 et 1940 dans un grand nombre d’industries, y compris les mines de charbon et de métal, les débardeurs, l’automobile, la sidérurgie, le pétrole, l’abattage de la viande, les équipements agricoles et autres.  Le CIO consolide et étend ses gains dans un certain nombre d’importants centres industriels du Sud, notamment à Gadsden, en Alabama, à Memphis, au Tennessee, à la Nouvelle-Orléans, à Atlanta et à Laurel, Jackson et Natchez, dans le Mississippi. A Laurel, Mississippi, une ville de 30.000 habitants, le CIO comptait plus de 6.000 membres. À la fin de 1948, le Textile Workers Union a remporté une élection à la Laurel Textile Mill, la dernière grande usine non syndiquée de la ville. Cette victoire a eu lieu malgré le fait que le sénateur Theodore Bilbo et le représentant John Rankin, ouvertement suprématistes blancs, soient venus en ville spécifiquement pour faire campagne contre le CIO (Business Week 1948), ce qui (contrairement à la défaite de l’UAW chez Volkswagen à Chattanooga en 2014) n’a pas empêché les travailleurs blancs majoritaires de voter massivement pour le CIO.

Pourtant, les syndicats ont fini par être vaincus dans les deux plus grandes industries du Sud, le textile et le bois.  Dans d’autres endroits, leurs syndicats ont souvent dégénéré en organisations tièdes, ne parvenant pas à contester le statu quo raciste. Rien de tout cela n’était prédéterminé.

Le Sud aujourd’hui

L’économie du Sud a beaucoup changé depuis les années 1930 et 1940. Le charbon a pratiquement disparu et ne reviendra pas. La production textile a disparu. L’acier de base a également disparu, bien que certains types de fabrication d’acier subsistent. Pourtant, le Sud a un dynamisme économique bien plus grand qu’il ne l’a jamais eu. Il compte un grand nombre de villes économiquement vitales, dont Miami, Atlanta, Houston, Dallas, Austin, Charlotte, Memphis et bien d’autres. Il s’agit d’une arène en expansion pour la production automobile (surtout parmi les transplants étrangers) ainsi que d’un centre croissant pour la production de pièces automobiles. La production de pétrole et d’autres sources d’énergie est importante, tandis que de nouvelles industries, allant des élevages de poissons-chats et autres productions alimentaires à l’aérospatiale, ont vu le jour. Des centres logistiques au service de la nouvelle économie numérique sont situés dans de nombreuses grandes villes du sud. Les coupes budgétaires, en particulier dans les États dominés par les républicains, ont eu un tel impact sur les travailleurs du secteur public, notamment les enseignants, que des vagues de grèves militantes ont vu le jour.

Ainsi, les possibilités d’un nouveau soulèvement ouvrier dans le Sud semblent palpables, et les possibilités d’un leadership insurgé et plus radical ne sont pas inconcevables.

Michael Goldfield est professeur émérite de sciences politiques et actuellement chargé de recherche au Fraser Center for Workplace Issues de la Wayne State University.

traduction de l’anglais: Stéphen Bouquin & Donna Kesselman

 

[1]. Dans les États qui interdirent le Closed shop et le monopole syndical, il est permis aux salariés de refuser de payer des cotisations et de devenir membre du syndicat représentatif qui négocie la convention collective pour l’ensemble des salariés d’une entreprise. Voire Marie A. Ménard, in Les Mondes du Travail, n°28.

[2] Cet impôt était imposé dans certaines parties des États-Unis, notamment dans les Etats du Sud, dans le but de restreindre l’accès au vote aux pauvres, visant surtout les Noirs mais également les Amérindiens et aux Blancs d’origine étrangère. Le paiement de cet impôt était une condition préalable à l’inscription sur la liste électorale et donc à l’accès au suffrage.

 

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