Mobilité et mobilisations des travailleurs

Compte-rendu de la 40ème International Labour Process Conference (Padoue, 22-24 avril 2022). // Stephen Bouquin //

Fin avril avait lieu à Padoue la 40ème édition de cette conférence annuelle. Admettons-le, dès lors qu’elle est traduite en français – « Conférence Internationale du Procès de Travail – l’appellation vous arrache l’oreille, alors qu’en anglais, elle est des plus banales. Pour certains, il s’agit d’une conférence de crypto-marxistes. Pour d’autres, il s’agit d’une approche critique presque mainstream, à la fois ouverte aux apports extérieurs et très hétérogène en son sein. Pour une présentation succincte de cette tradition théorique, nous renvoyons à un autre article.

L’appel à communication de cette conférence était centrée sur la double question de la mobilité et de la mobilisation des travailleurs, l’objectif étant de développer une meilleure compréhension de l’imbrication des phénomènes migratoires avec le procès de travail, ses liens avec la précarisation de l’emploi, tout en abordant les mobilisations et la mobilité sur le marché du travail et au niveau des territoires.

Le thème de la mobilité englobe une variété de sujets connexes, allant des expériences de migrants sur le marché du travail aux questions plus larges telles que la mobilité professionnelle. La mobilité des travailleurs est un sujet devenu incontournable vu la croissance de l’emploi précaire et de la gig economy, un secteur mobilisant le travail de plate-forme et suscitant la crainte d’un enfermement dans l’insécurité socio-professionnelle propre au sous-segment de ces mini-jobs.

La pandémie a eu des répercussions considérables sur ces réalités enchevêtrées. Les tensions autour des populations migrantes ont été exacerbées par la crise sanitaire et la fermeture des frontières qui s’en est suivie, ce qui démontre en passant à quel point la mobilité de la main-d’œuvre est cruciale pour de nombreuses institutions impliquées dans le procès de travail. La période ouverte par la pandémie tend également à aggraver la segmentation du marché du travail suivant le genre, l’origine ethnique, la nationalité, l’âge, le niveau d’instruction, l’appartenance de classe et les « frontières de papier » (le fait d’avoir besoin d’un visa pour franchir la frontière ou, à défaut, d’entrer de façon clandestine sur le territoire).

L’appel à communication intégrait pleinement la dimension sexuée du travail. La mobilité professionnelle sur le marché du travail est, on  le sait, fortement influencée par la répartition des tâches au sein de la famille (le travail domestique ou reproductif). Les migrations internationales de main-d’œuvre qui soutiennent les activités de reproduction sociale  (les « chaînes invisibles du care ») transforment également ce travail reproductif, tant du côté des pays d’origine (les grands parents s’occupent des enfants en bas âge) que du côté des pays destinataires où les jeunes femmes font le ménage et s’occupent des personnes âgées.

Un autre objectif de la conférence était de comprendre comment la mobilité de la main-d’œuvre transforme les relations de travail et d’emploi, en affectant les dynamiques de contrôle et de résistance au travail ou encore les mobilisations syndicales. Bien que la rotation de la main-d’œuvre et les pratiques de mobilité subjective aient été, pendant longtemps, conçues pour empêcher les stratégies collectives d’auto-défense du travail, les expériences récentes de mobilisation montrent que l’opposition entre les deux voies est en réalité beaucoup moins forte que l’on pense. En d’autres termes, les conduites de type exit – comme actuellement avec la vague de démissions qui a commencé aux États-Unis – et celles de type voice (ou revendication) ne se contredisent pas forcément.

amphithéâtre de la faculté de médecine

La conférence abordait également les rapports entre le processus de mondialisation et la question des conflits sociaux. Constatant que dans de nombreux  pays, les mobilisations sociales et l’engagement syndical se développent particulièrement parmi les travailleurs racisés et les travailleuses – ou dit  rapidement, du côté de celles et ceux longtemps invisibilisés et qui sont devenus les « essentiels » à la faveur d’un pandémie – il s’agissait de comprendre dans quelle mesure les convergences avec les mobilisations des catégories de travailleurs plus protégés étaient encore possible.

Avec 355 communications, auxquelles étaient associés plus de 600 chercheur·e·s, le programme de la conférence était extrêmement dense. Sur les 600 cosignataires de communications, près de 300 ont participé en présentiel et plus de 150 ont participé aux sessions en ligne. Cette organisation hybride fut une véritable prouesse technique puisque les panels alternaient des interventions orales en présentiel avec des communications faites à distance, avec partage d’écran. Les chercheur·e·s en distanciel pouvaient également suivre les présentations projetées sur écran et participer aux échanges.

Coup de projecteur sur les thématiques des communications

Les travailleurs de plateforme, les gig workers comme on les appelle en anglais, étaient très représentés dans le programme. La quasi-totalité des 30 communications témoignaient avant tout de la capacité de ces travailleurs à s’engager dans des actions collectives, souvent en lien avec des combats politico-juridiques pour la reconnaissance du statut salarial. Même minoritaires, ces actions produisent des résultats, certes instables et fragiles, comme en témoignent les verdicts de tribunaux aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Espagne, ou encore les discussions d’une directive cadre à l’échelle de l’UE. Le constat de cette propension minoritaire à l’action alimente ensuite des réflexions plus théoriques sur la nécessité de renouveler le paradigme de la mobilisation collective élaboré par John Kelly et Charles Tilly autour des concepts que sont le « sentiment d’injustice » et le « répertoire d’action collective ».

Parfois, les communications allaient très loin dans ce qui serait perçu en France comme absolument iconoclaste. Ainsi une équipe de chercheurs (Dario Azzelini e.a.) défendaient l’assertion que l’ubérisation de l’emploi relève de la mythologie néolibérale. Pour résumer leur argumentation, élaborée à partir d’une enquête de terrain, l’ubérisation est et sera toujours un fiasco. Plateformiser les musiciens professionnels n’aurait donc aucun sens. Il manque toujours un saxophoniste ou un batteur et si ce n’est pas le cas, le public prend la fuite tellement le son est inaudible. Appliqué au secteur du nettoyage, les prestations uberisées sont de si piètre qualité que ce n’est pas avec l’évaluation de la part des clients (particuliers ou structures) que le problème sera résolu. Le travail de plate-forme appliqué à l’enseignement ou au care produit des situations ubuesques et ingérables, de qualité médiocre, ce qui conduit à une perte de fonctionnalité de la plateforme et cela d’autant plus rapidement que les marges de profit sont déjà très réduites au départ.

Pour donner une idée de la richesse et de la diversité des questions traitées, je citerai quelques intitulés de streams qui représentent des sous-thématiques avec plusieurs ateliers : travail, labeur et reproduction sociale (3 ateliers) ; conflits de travail, organisation et classe laborieuse (4 ) ; migrations, nouvelles technologies et recomposition sociale de la main-d’œuvre (3) ; recomposition des identités et procès de travail (3) ; précarité, discipline et résistances au travail (4); nouvelles technologies et temporalités du travail (3) ; chaînes de valeur globales (2) ; nouvelles formes de contrôle managérial et procès de travail (3) ; écologie et travail (3) ; rôle de l’Etat, les réformes du marché du travail et le procès de travail (2)..

Participer aux travaux d’une ILPC, sachant la grande diversité des participants, leurs pays d’origine ou les situations abordées, est un voyage qui pourrait donner à certain·e·s le tournis ou le mal de mer. Mais à coup sur, il s’agit aussi d’une expérience « transformatrice »… En moins de deux heures, on passe allègrement des aciéries du Brésil aux gig workers du Danemark, des luttes des travailleurs de la santé en Espagne à l’analyse du syndicalisme islamiste en Turquie pour embrayer ensuite sur le travail des serveuses à New York (qui explique très bien pourquoi tant d’entre elles ne sont pas revenues travailler après la pandémie). De manière un peu impromptue, on découvre la « récalcitrance » de travailleurs du bâtiment en Chine, pourtant réputés très dociles et extrêmement rapides dans l’exécution de leur tâches. Après avoir été immergé dans la vie quotidienne des sweatshops (« ateliers de sueur », surtout dans la confection) du sud-est asiatique, on découvre comment la cueillette des noisettes en Turquie requiert un régime de main-d’œuvre familialiste. Après avoir compris combien l’action syndicale des chantiers navals Fincantieri intègre la question des travailleurs périphériques, on prend connaissance de l’efficacité des campagnes de syndicalisation de travailleurs ruraux originaires d’Afrique de l’ouest mobilisés par régiments entiers dans les provinces du Mezzogiorno.

Faute de temps, la contextualisation est souvent très minimale et les papiers ne sont pas forcément tous présentés sous une forme achevée. Rares sont les communications disponibles, mais on peut toujours s’informer et demander à recevoir le diaporama (l’exercice obligé). L’intérêt de la conférence réside justement dans le fait que chaque communication est réellement présentée (15 minutes avec 10 minutes de discussion), ce qui conforte chez chacun·e le sentiment d’être partie prenante d’une véritable conférence et non d’assister à une retransmission en direct de résumés de communications.

Méconduite et résistance

La méconduite et les résistances au travail sont des thématiques régulièrement traitées lors de ces conférences.  A l’inverse de la sociologie du travail hexagonale, très centrée sur l’analyse de l’activité de travail déployée sous la domination managériale, les recherches anglo-saxonnes, inspirées par la théorie du procès de travail, croisent l’étude des situations de travail avec celle des conduites informelles, tout en y intégrant à la fois l’organisation ou la structure (l’entreprise et sa logique de profit) et une éventuelle présence syndicale.

Paul Thompson, figure historique de ce paradigme est revenu sur les débats au sujet de la méconduite organisationnelle à l’occasion de la réédition de l’ouvrage co-écrit avec Stephen Ackroyd (Organisational misbehaviour). Pour Paul Thompson, la question n’est pas de savoir si les méconduites existent ou non mais de savoir pourquoi parfois on tend à reconnaître leur existence tandis qu’à d’autres moments, elles deviennent invisibles ou ne sont plus reconnues. Même si les méconduites se pratiquent dans un environnement coercitif, l’enjeu premier reste la mobilisation de la force de travail afin d’en extraire une survaleur. A l’inverse des approches structuro-fonctionnalistes ou post-structuralistes (centrées sur l’identité et les discours), la Labour Process Theory reconnaît la nature à la fois conflictuelle et incertaine de la relation de travail, ce qui justifie l’usage du concept de « agency », difficile à traduire en français. Les collègues du Québec le traduisent par « agencivité » ou « puissance d’agir » qu’il faut toutefois concevoir comme une puissance en action, qui est déjà-là et qui le sera toujours d’une manière ou d’une autre. Je ne développe pas davantage puisque nous publions dans le numéro 28 de la revue un article de Stephen Ackroyd et Paul Thompson, publié dans le manuel de sociologie générale publié par SAGE en 2015, ce qui témoigne aussi de la centralité de cette question dans le monde anglo-saxon.

Le jeudi soir, nous étions conviés à la présentation d’une nouvelle revue interdisciplinaire, Work in the Global Economy, éditée par les Presses Universitaires de Bristol, étroitement associée à l’ILPC et dont la coordination est assurée par Sian Moore de l’université de Londres et Kirsty Newsome de l’université de Strathclyde. Le numéro de lancement de la revue contient des papiers très variés sur le capitalisme racialisé dans les secteur des abattoirs ; la théorie du process de travail face au déterminisme technologique, le travail de service en temps de Covid19 comme« roulette russe », le mouvement double d’automatisation et de gamification. Pour un aperçu global du sommaire, voir ici.

Les plénières

La plénière inaugurale fut l’occasion de découvrir le Palazzo Bo. Après une allocution par les autorités de cette très ancienne université datant du début du XIIIème siècle, nous étions conviés à deux conférences. La première de Pun Ngai, professeure de l’université de Hong-Kong portait sur le « capitalisme infrastructurel » à partir de l’exemple du développement accéléré du réseau de chemin de fer à haute vitesse en Chine, orientant notre réflexion sur le rôle de l’Etat dans la mondialisation. La seconde conférence fut celle de Ruth Milkman de la CUNY, l’université de la ville de New York. Ruth Milkman, professeure qui fait autorité dans les labor studies et l’étude des migrations et qui a souligné combien la mobilisation des Black Lives Matter, le renouveau syndical et la reconnaissance de la centralité du travail des essentiel·le·s sont reliés.

Le lendemain après-midi, deux symposiums avait lieu simultanément ; le premier sur le futur du travail et des travailleurs avec un débat orienté « Nord-Nord» regroupant des chercheurs allemands, états-uniens et britanniques, et le second plus orienté sur les questions de mobilisation en donnant la parole à des syndicalistes des pays de l’Est, ainsi que des militant·e·s associatifs féministes et d’ONG en lutte contre le trafic humain.

La séance plénière de clôture a donné la parole à Guglielmo Meardi de l’École Normale supérieure de Florence et à Rutvica Andrijasevic, de Université de Bristol. La conférence de Meardi portait sur la ségrégation ethno-raciale du travail, ses raisons d’être, à qui elle profite et pourquoi cela pose problème. Andrijasevic a quant à elle exposé les linéaments théoriques des chaînes de valeur globalisées en soulignant la centralité des enjeux temporels, que ce soit au niveau de l’approvisionnement des composants mais aussi la disponibilité temporelle de la main-d’œuvre. C’est à travers le prisme du temps, sous domination du capital, que l’on comprend pourquoi les dysfonctionnements du flux tendu sont légions et pourquoi l’automatisation, toujours très inégale au demeurant, rend les chaînes de valeur mondiales extrêmement sensibles à des interruptions et des dysfonctionnements.

Pour beaucoup, la pandémie Covid-19 représente un véritable tournant historique qui rend illusoire l’attente d’un monde d’avant retrouvé. Mais il n’est pas certain non plus que les situations s’empirent inéluctablement… La dégradation du rapport de force est réelle mais dans beaucoup de pays, un grand nombre de salarié·e·s démissionnent tandis que d’autres commencent à se mobiliser. Pour un nombre grandissant de personnes, la vie au travail et hors travail (logement, vie quotidienne) est devenue si insupportable qu’elle peut conduire à des irruptions sociales analogues à celles que nous avons connues en France avec les Gilets jaunes. Mais l’éventualité de réorganisations de fond existe aussi. En témoigne une enquête menée en Irlande auprès de DRH des creative industries – qui regroupe les arts graphiques, la publicité, la conception de jeux et production audio-visuelle – et qui expriment une volonté d’introduire la semaine de quatre jours et de 32 heures, sans perte de salaire. Pour la majorité des DRH interrogés au cours de cette enquête, travailler moins longtemps et mieux tout en gagnant le même salaire correspond à peu près à la seule possibilité qui leur reste pour arriver à convaincre leurs salariés de rester … D’autant que « personne est en mesure d’être créatif cinq jours par semaine, autant lâcher la pression ». Comme quoi, il existe encore des DRH intelligents …

Un plongeon dans l’histoire

Après trois jours de sciences sociales ininterrompues, il est temps de visiter la ville et d’effectuer un plongeon dans l’histoire, au demeurant absolument passionnante. Commençons par l’université de Padoue qui fut crée par un groupe d’anciens étudiants de l’université de Bologne, initiative inimaginable de nos jours ! Toujours est-il qu’en 1222, il y a exactement 800 ans, ce sont les étudiants qui ont construit l’université, en choisissant leurs professeurs, avec des formations en philosophie du droit, en médecine et en mathématiques. C’est aussi à Padoue que les Antonio Negri et les Silvia Federici ont fait leurs classes. Encore aujourd’hui, on y retrouve une ouverture d’esprit et la possibilité de travailler sur des questionnements fondamentaux sans souffrir de la contrainte de vendre ses connaissances, de créer un maximum de start-ups et de produire à la chaîne des diplômés surqualifiés pour les emplois qu’ils finiront par trouver après quelques années de précarité… On est loin de la culture managériale qui contamine de plus en plus nos universités françaises !

Chapelle des Scrovegni

Padoue est également connue pour abriter les fresques de Giotto, véritable peintre d’avant-garde de la renaissance. Ayant réalisé pas mal de chantiers de restauration de fresques dans ma jeunesse avec un père qui travaillait pour le service des Monuments Historiques, je ne pouvais pas y manquer[1]. On l’oublie toujours, mais la renaissance a commencé par une révolution artistique. Là où la peinture murale romane organisait la représentation des figures et des objets en fonction de l’importance qui leur était accordée (la taille est fonction de l’importance), Giotto a été parmi les premiers à révolutionner la peinture murale par l’usage de la perspective linéaire mono-focale et un jeu de luminosité clair-obscur, transformant la surface en fenêtre ouverte sur le monde.

Hélas, la visite de la Chapelle des Scrovegni tombe à l’eau car tous les créneaux sont occupés jusqu’au milieu de la semaine suivante…

Palazzo della ragione

Dans les pas d’Elisabeth Teissier ?!  [2]

Avec quelques collègues très sympathiques, nous commençons notre visite de la ville par le Palazzo della Ragione. Au rez-de chaussée, il s’agit d’un marché couvert tandis qu’à l’étage supérieur, on retrouve un hall immense qui abrite près de 150 panneaux de peintures murales. L’ensemble pictural s’organise autour d’une représentation du temps avec un chronographe de 12 heures et un calendrier de l’année et les douze mois, organisée en quatre saisons. Aux dessus des panneaux symbolisant les mois, d’autres de tailles plus réduites représentent des signes du zodiaque. Le guide audio explique cette thématique par l’importance accordée aux signes astrologiques. Mince alors, on visite le palais de la raison et on nage en pleine astrologie…  Cela peut se comprendre. A l’aube de la Renaissance, le dogme de l’univers crée par Dieu était loin d’avoir disparu, et dans ce même temps, beaucoup pensaient qu’il n’avait pas forcément tout en main. A l’instar des saisons qui déterminent le moment des semences et de la récolte, le cycle solaire et lunaire devait forcément intervenir dans les tempéraments ou l’humeur du jour…

Nous poursuivons notre visite de Padoue, une ville dont les murailles longues de 17 km dépassaient de loin la zone habitée pour la simple raison qu’il fallait également défendre le jardin potager de Venise… Après avoir confondu la Basilique machin bidule avec la Basilique di San Antonio, qu’on finit par visiter pour voir les beaux restes du Saint-Antoine en question, on se dit au revoir – see you next year in Glasgow ! – car les collègues ont encore Venise au programme tandis que de mon côté je suis en partance pour Bergamo et Bruxelles.

Comme je trouve cette histoire de zodiac un peu courte pour justifier la dénomination du Palais de la raison, je mets le moteur de recherche en marche. De manière générale, le XIIIème siècle est crucial pour comprendre la renaissance et l’émergence du capitalisme, certes marchand mais capitaliste quand-même[3]. Je finis par trouver la réponse à mes questionnements dans un excellent Working Paper de la Harvard Business School[4]. Que raconte-t-il ? Le mercantilisme connait un développement fulgurant au moment où les marchands se sédentarisent, c’est-à-dire la seconde moitié du XIIIème siècle. Au lieu d’accompagner partout leurs marchandises pour les vendre, les marchands restent là où ils vivent. Ce double mouvement de sédentarisation des marchands et d’accroissement des échanges marchands a été rendu possible grâce à trois innovations commerciales.

La première innovation concerne l’usage généralisée de la Lettera di cambio ou di pagamento, inventée par les Vénitiens et qui permettait d’être payé à distance. Vient ensuite la Commenda ou la commande groupée, utilisée avant tout par les marchands Génois, et qui permettait de regrouper des capitaux en mutualisant les risques de perte (tempête, vol etc.). Vient enfin, last but not least, la ragione, terme qui provient de ratio en latin et qui signifie un compte. L’activité commerciale implique le Ragionamento, ce qui renvoie à la comptabilité, et qui sera révolutionnée par les marchands Florentins. Disposant d’un monopole sur la levée des taxes pontificales, les Florentins jouent un rôle de premier plan dans le commerce en Europe puisqu’ils peuvent acheter à Londres de la laine et la payer directement sur place avec les fonds collectés pour le Vatican (après, ça se complique un peu …). En toute logique, pour faciliter leur activité à la fois commerciale et fiscale, ils inventent la comptabilité créditeur/débiteur, ou la Ragione a partita doppia, à double entrée.

Voilà le mystère zodiacal est résolu ! Le Palais de la Raison est avant tout celui de l’échange marchand, raison et calcul signifiant la même chose. Non, l’esprit du capitalisme n’a pas attendu le protestantisme pour se développer… La thèse bien connue de Max Weber, qu’il avait énoncée contre celle de Werner Sombart pour qui l’acte de naissance du capitalisme est consigné en Italie du Nord (et un peu dans les Flandres mais c’est une autre histoire) est donc à manier avec une grande précaution. Certes le catholicisme interdisait l’usure, mais le commerce à l’aide de lettres d’échange permettait d’insérer de manière invisible des taux d’intérêts pourtant moralement réprouvés.

Lazaretto Vechio – île accueillant les équipages en quarantaine au large de Venise

De la grève chez Ryanair à la visite de Venise

Mon vol du dimanche après-midi est annulé pour cause de grève des équipages de cabines basées en Belgique [5]. Elle sera d’ailleurs suivie d’une première grève européenne fin juin.

Contraint de partir le lendemain, je me réjouis de prolonger mon séjour italien avec comme destination Venise. Je zappe la visite de la Piazza San Marco sans aucune hésitation. Je m’assigne deux objectifs : primo, tenter de visiter une des îles réservées à la mise en quarantaine ; secundo, visiter l’Arsenal qui n’est autre que le chantier naval de la cité.

A la suite de l’ épidémie de la peste 1348-1352, qui a réduit la population européenne de près de moitié, Venise a pris les devants et impose un régime strict de précaution. Pour chaque navire désirant accoster, trois patentes sont exigées : une pour la cargaison, une autre pour l’équipage et une troisième à propos des ports par lesquels le bateau a transité. Chaque patente est soit pulita (rien à signaler), sospeta (suspect) ou bruta en cas de peste. Même lorsque les trois patentes sont propres, le navire doit mouiller au large, et attendre quarante jours avant de pouvoir décharger les cargaisons et laisser l’équipage mettre pied à terre. C’est dire combien le régime était strict [6]

Arsenal de Venise

La visite d’une île étant hors de portée, je décide de limiter mon excursion à l’Arsenal. La construction navale représente un enjeu majeur pour la Sérénissime, le surnom cette république marchande. Du XIIème à la fin du XIIIème siècle, l’arsenal offre une infrastructure permettant aux armateurs de réaliser la construction de galères, des bateaux à deux ou trois voiles latines avec des équipages de rameurs. A partir du XIVème siècle, le volume de marchandises à transporter augmente tellement que la ville décide d’ériger un véritable complexe industriel capable de construire en peu de temps des dizaines de navires.

Arsenal de Venise (17ème siècle)

Financé par la ville, l’Arsenal est devenu un véritable dispositif de production dont le fonctionnement présente de grandes similitudes avec l’industrie automobile. Cela étonnera peut-être certains sociologues mais je pourrais toujours leur fournir les manuels sur le lean management qui mentionnent ce précédent historique.Les Galéasses – une sorte de galère naviguant avec des rameurs et deux voiles latines – étaient assemblées suivant des séquences distinctes, se déplaçant d’un poste de travail à un autre. L’eau formait en quelque sorte la chaîne mobile, permettant de réduire les déplacements des travailleurs au cours du processus de production. Au lieu de s’affairer autour d’un navire jusqu’à sa finition, comme c’est le cas dans la construction navale contemporaine, c’est l’objet de fabrication qui se déplace et non les travailleurs.

L’arsenal fonctionnait également suivant le principe de l’amélioration continue. Dès le XIIIème siècle, les architectes de construction navale réfléchissent à comment réduire le nombre de composants utilisés pour assembler un navire, le rendre plus léger et plus facile à produire. Une ingénierie axée sur la production en série a permis d’augmenter la capacité de production en peu de temps. Cette logique organisationnelle, que l’on retrouve dans l’industrie manufacturière sous le nom de « conception pour la fabrication », a induit un mode d’assemblage sériel avec des composants fabriqués dans des ateliers séparés (coque, pont, mats, cordes, clous) et pouvant parfois être conservés en attente de commandes. Globalement, la construction d’un navire suivait toujours le même plan, avec une standardisation à tous les niveaux: 41 mètres de long, 4 mètres de large au milieu de la coque, et 15 mètres de hauteur de mat central (à remplacer en cas de forte  tempête).

Au début du XVIème siècle, lorsque les guerres commerciales avec l’empire Ottoman s’intensifient, l’Arsenal développe une capacité telle qu’il est en mesure de produire un navire par jour. Près de 16 000 travailleurs-artisans y sont employés (salariés par la ville), suivant une spécialisation professionnelle et des classes d’apprentissage. A ce moment-là, la construction navale remplit une fonction tellement stratégique que la cité des Doges avait acquis plusieurs centaines d’hectares de forêt dans les collines de Montaldo dont elle planifiait le reboisement.

Je terminerai ce compte-rendu avec une dernière anecdote à propos de Galilée et de ses Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze, publiés en 1638, dans lesquels il expose au travers d’un dialogue imaginaire ses trouvailles scientifiques qui portent sur la solidité des matériaux et sur l’accélération du mouvement.

Ce qui est fascinant, du point de vue épistémologique, c’est le fait que ces trouvailles plongent leurs racines dans les visites régulières de l’arsenal par Galilée et des conversations qu’il avait avec les travailleurs et maîtres-artisans. Selon Jürgen Renn et Matteo Valleriani, historiens des sciences[7], Galilée ne se rendait nullement à l’arsenal pour se distraire ou pour enseigner mais plutôt pour apprendre. Ce qui était un savoir pratique pour les architectes maritimes, les maîtres-artificiers et charpentiers a permis à Galilée d’élaborer plusieurs modèles mathématiques  et géométriques. Un exemple : plus le navire est grand, plus il doit être consolidé en son centre afin de ne pas se briser sous son propre poids… Autre exemple: ce sont les dialogues avec les artisans de l’atelier de fonderie qui lui ont permis de comprendre les lois de la balistique et du mouvement (l’accélération lors d’un mouvement de chute incliné ou vertical, la puissance d’impact d’un boulet en fonction de la masse, de la trajectoire et de la distance.

Pour Renn et Valleriani, Galilée était autant un savant qu’un apprenti-ingénieur qui formalisait des savoirs empiriques accumulés mais non expliqués théoriquement. Par-dessus tout, Galilée était conscient des limites de ses connaissances et il avait compris qu’il ne pouvait pas trouver de réponses sans opérer un va-et-vient avec l’expérience pratique. Ce qui était vrai à son époque l’est tout autant aujourd’hui. Le ou la scientifique ne doit pas seulement répondre aux critiques des pairs mais aussi penser contre soi-même et savoir qu’il ou elle gagne en intelligence lorsqu’il ou elle se donne la peine d’écouter ce que les « profanes » ont à dire  à propos de leur objet d’investigation. Faute de ces précautions, le modèle explicatif se fige, devient normatif et finit par entraver une meilleure compréhension la réalité. Pour paraphraser un vieux barbu, le ou la scientifique se doit d’être capable d’entendre pousser l’herbe…

 

 

 

Annexe – Quelques communications qui méritaient le détour…

« La transition écologique dans les ateliers de l’industrie : analyse des représentations des ouvriers, techniciens et ingénieurs » (Domenico Perrotta) ; «Syndicalisme communautaire, bricolage et action collective. Le cas des travailleurs migrants espagnols et Italiens à Berlin (Beltràn Roca, Somine Castellani) ; « Subjectivités algorithmiques et la ville comme champ de bataille » (Maurilio Pirrone) ; « Ubérisation, espaces public et parties prenantes : vers une nouvelle configuration de l’emploi et des relations de travail dans les territoires (Donna Kesselman, Christian Azaïs) ; « The Good, The Bad and The Women : une analyse genrée des régimes de migrations dans l’industrie de la pêche en Ecosse » (Paula Duffy) ; « Quand le care et la garde des enfants deviennent du bricolage. Le cas des familles de migrants chinois en Italie » (Ru Gao) ; « Les chaînes de valeur de l’Intelligence Artificielle. Une étude de cas du déplacement du travail, de l’opacité des chaînes de valeur et de l’invisibilisation du travail » (Maxime Cornet et Clément Le Ludec) ; « Les stratégies de subsomption réelle et ses limites chez Amazon (Georges Barthel) ; « La force de travail immigrante externalisée et le management algorithmique contre le travail. Le modèle plateformisé des coursiers  et les résistances des travailleurs à Paris et Bruxelles » (Fabien Brugière) ; « Résistances sans solidarité ? Le conflit de esens dans la méconduite des cols bleus d’une usine en Italie » (Angelo Moro), « Pourquoi la plupart des professions ne seront pas ubérisées » (Dario Azzelini Ian Greeg, Charles Umney) ; « Les mobilisations environnementales des travailleurs comme instances de justice climatique (Paul Guillibert, Emmanuel Leonardi) ; « Résistances à la transformation du métier des enseignants par les réformes orientées sur la performance » (Sophie Morell) ; « Renouveau des théories de l’action collective à partir de l’expérience des mondes sociaux de la précarité et du gig work » (Maurizio Atzeni, Lorenzo Cini) ; « La conscience de classe des travailleurs précaires. Une analyse comparée des coursiers en Allemagne et au Royaume-Uni » (Alexander Seehaus) ; « Mariënthal à l’envers ou les effets de la garantie d’emploi dans une ville autrichienne » ; « Travail, logistique et capital monopolistique. Une analyse du paradigme Amazon à travers le prisme du procès de travail » (Francesco Massimo) ; « Syndicalisme communautaire, bricolage et actions directes. Les travailleurs migrants espagnols et italiens à Berlin » (Roco Beltran Martinez) ; « Quand le lean devient lourd : la redéfinition managériale du care dans les maisons de retraite » ; « Caniches jaunes et chats sauvages : à propos des limites du syndicalisme intégré » (Robert Seifert, Wen Wang) ; « Le côté obscur du procès de travail des plateformes (à propos des soft skills) (Federico Chicchi & Marco Marrone) ; « Reconstruction du dialogue social en Ecosse » (Mélanie Simms) ; « L’érosion de la codétermination en Allemagne (Staples & Whittall) ; « Autonomie et contrôle dans le télétravail de masse durant la pandémie » (Francesco Massimo, Angelo Moro, Marta Fana) ; « Les travailleurs privilégiés sur le banc. Comment les travailleurs des hôtels de luxe ont appris à se mobiliser » (Amélie Beaumont) ; « Travailler de 9 heures par jour 6 jours par semaine et présentéisme virtuel en Chine » (Mo Xing) ; « Par-delà l’approche centre-périphérie. La transformation des régimes de travail dans les chantiers navals en Italie » (Devi Sacchetto & G. Meardi et alli) ; « Le télétravail et la reconfiguration spatiale des espaces de travail » (Odul Bozkurt) ; « Analyse intersectionnelle de la mobilisation, de la syndicalisation et des résistances des travailleurs migrants ouest-africains dans la province de Foggia (Italie) (Camilla Macciani) ; « Le travail gratuit dans l’économie de plateforme. Une typologie du vol de salaire à l’époque du numérique » (Matthew Cole) ; « L’impossible conflit des travailleurs de l’automobile Français »  (Juan Sebastiàn Carbonnell) ; « Valoriser les entrepreneurs. La destruction, création et dévaluation du capital humain en Pologne » (Gavin Rae), « Les noisettes nous gouvernent : crise climatique et changements dans le production de noisettes en Turquie (Emine Erdogan) ; « Automatiser avant de délocaliser. Le cas de GKN » (Gabbriellini) ; « Quand la planète en feu tombe dans la mer : environnementalisme ouvrier et déclin industriel à Porto Marghera » (Lorenzo Feltrini) ; « Eigensinn ou le taylorisme digitalisé face aux modes de réappropriation du procès de travail chez Amazon » (Georg Barthel et allii) ; « Stocker le consentement ? Conflits de travail, mobilité des travailleurs et stratégies syndicales dans les entrepôts en France et en Italie » (Lucas Tranchant, Carlotta Benvegnù)  (pour la liste complète, voir le site de la conférence de Padoue et le site général de l’ILPC)

Quant à moi, j’ai présenté une communication en revenant sur deux conflits « au-delà de la loi», celui des Gilets jaunes – dans le monde anglo-saxon, presque aucune analyse a été publiée à leur sujet – et le mouvement de grèves spontanées en Italie au début de la pandémie. A mes yeux, ces deux mobilisations se situent « au-delà » de la loi et de la régulation sociale, que ce soit celui du jeu institutionnel de la démocratie libérale ou celui des relations professionnelles.

Crédit photos  © Comune di Padova Settore Cultura, Turismo, Musei e Biblioteche

 

[1] Sur le plan technique, le principe est très simple mais requiert beaucoup d’habilité : le fresco est une peinture qui se fait sur un enduit de chaux hydraulique qui sèche plus lentement et les pigments mélangés à l’eau pénètrent la masse permettant à un processus chimique de cristallisation la fixation des pigments. Une fois que c’est sec, le dessin est pour ainsi dire internalisée à l’enduit.

[2] Elisabeth Teissier est une célèbre astrologue qui a soutenue une thèse en sociologie sur l’astrologie sous la direction de Michel Maffesoli. L’accord donné à la soutenance de cette thèse a suscité une vivre réaction de la part d’autres sociologues plutôt positivistes et inspirés par Pierre Bourdieu. A mon avis, ces derniers ne se sont pas rendu compte qu’il s’agissait d’un traquenard qu’il leur était tendu par leurs collègues postmodernes. Pour prendre connaissance de la critique de cette thèse, voir Bernard Lahire, Comment devenir docteur en sociologie dans posséder le métier de sociologue? In Revue Européenne des Sciences Sociales, 2002, p. 41-65, https://doi.org/10.4000/ress.629  et https://journals.openedition.org/ress/629?lang=en

[3] Un ami et collègue de Lille me glisse à l’oreille que je devrais relire Braudel et Wallerstein pour qui le capitalisme mercantiliste commence au XVème siècle. Il a raison, il faut toujours relire Braudel et Wallerstein… C’est aussi ce qu’a fait Alain Bihr pour rédiger Le premier âge du capitalisme (1415-1763): Tome 1, L’expansion européenne (Page2/Syllepse, 2018). Mais pour l’économiste et sociologue allemand Werner Sombart, il y a lieu de distinguer trois périodes, à savoir le Frühkapitalismus ou capitalisme précoce qui émerge au cours de la seconde moitié du 13ème siècle et qui se clôture fin du 17ème siècle pour céder la place au Hochkapitalismus ou haut capitalisme, suivi à son tour par le Spätkapitalismus, ou capitalisme tardif, qui débute avec la première guerre mondiale. Le capitalisme précoce se développe autour de deux pôles, commercial pour l’Italie du Nord et dans les Flandres où sont fabriqués de grandes quantités de draperies et de tissus qui étaient mis en vente dans toute l’Europe. Voir Werner Sombart, Der Moderne Kaputalismus, six volumes publiés entre 1902 et 1928. En Allemand et Espagnol seulement. En Anglais on pourra consulter Sombart, Werner (2001): Economic Life in the Modern Age. Coord par Nico Stehr et Reiner Grundmann, éditions New Brunswick. A propos de l’industrie drapière, voir Etienne Coornaert, « Draperies rurales, draperies urbaines. L’évolution de l’industrie flamande au moyen âge et au XVIe siècle », in Revue Belge de Philologie et d’Histoire, XXVIII, 1950, pp. 59-96.

[4] Sophus A. Reinert, Robert Fredona (2018), Merchants and the Origins of Capitalism, Harvard Business School, Working Paper 18-021, 36p.

[5] Le transporteur low cost emploie 650 personnes en Belgique mais ne se donne pas la peine de respecter la législation sociale. « Les fiches de salaire sont erronées, les salaires ne sont pas payés correctement, les documents sociaux ne sont pas en ordre, etc. Cela crée une source permanente de problèmes pour le personnel en Belgique, dénonçait Didier Lebbe, secrétaire permanent du syndicat chrétien. Les syndicats dénoncent également que 75% du personnel de cabine perçoit le seuil salarial plancher de la branche, et ce alors qu’ils travaillent les jours fériés et les week-ends, jusqu’à tard le soir. Tout cela pour un montant net d’à peine 1500 euros. Bien que Ryanair dégage des bénéfices énormes, il n’y a aucune marge pour une amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs », fustigent la CNE et ACV Puls. Voir à ce propos l’excellent dossier de Bruno Bauraind et Jean Vandewattyne Ryan Air must change Lutter dans le Low Cost, publié par le GRESEA https://gresea.be/Ryanair-must-change-Lutter-dans-le-low-cost

[6] Pour plus de détails, voir Konstantinidou, K., Mantadakis, E., Falagas, M. E., Sardi, T., & Samonis, G. (2009). Venetian rule and control of plague epidemics. Emerging infectious diseases15(1), 39–43. https://doi.org/10.3201/eid1501.071545

[7] Jürgen Renn, Matteo Valleriani (2001), Galileo and the Challenge of the Arsenal. Letture Galileiane, Firenze, Working paper, Max Planck Institute for the History of Science, Berlin, 28p.

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