Greenpeace France soutient la mobilisation des salarié·es et des syndicats contre le projet de loi de réforme des retraites. Voici pourquoi en 4 points. (texte publié le 6 mars sur le site de Greenpeace)
Aux côtés de syndicats qui sont nos alliés au sein du collectif Alliance écologique et sociale – PJC, nous menons depuis plusieurs années déjà des combats communs. Ensemble, nous avons contribué au sauvetage de l’usine Chapelle-Darblay, un modèle d’économie circulaire. Nous militons pour taxer les superprofits des multinationales afin de financer la transition écologique. Nous formulons des propositions concrètes pour concilier justice sociale et environnementale, comme dans notre rapport « Pas d’emplois sur une planète morte ». Et aujourd’hui, nous nous faisons l’écho des revendications en faveur d’un système de retraites conforme à la vision d’une société juste et soutenable, écologiquement comme socialement, telle que nous la défendons au quotidien.
1 – Cette réforme des retraites affecte les personnes défavorisées, également touchées par le changement climatique
Greenpeace France soutient la mobilisation contre la réforme des retraites car ce projet est totalement en contradiction avec notre vision d’une société moins inégalitaire et plus juste socialement. Comme l’ont dénoncé les syndicats, cette réforme va à l’encontre de la cohésion sociale dont notre pays a profondément besoin. Elle risque d’aggraver les inégalités, car ce sont les classes moyennes et défavorisées qui seront les plus fortement impactées. C’est aussi le cas des femmes, qui ont souvent des parcours professionnels interrompus : « Les paysannes, souvent avec des carrières incomplètes, ayant travaillé avec des sous-statuts voire sans être déclarées, seront doublement pénalisées », dénonce ainsi la Confédération paysanne. « Quand on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté et qu’on a une carrière fracturée, bon courage pour arriver à 62 ans ! », déclarait d’ailleurs en 2019 un certain… Emmanuel Macron. Le Président qualifiait alors « d’hypocrite » le fait de vouloir reculer l’âge légal à 64 ans. Des promesses qui, tout comme celles sur l’environnement et le climat, ont volé en éclat.
Cette réforme des retraites injuste pèse sur les catégories les plus précaires, or ce sont déjà celles les plus vulnérables face au changement climatique et les plus exposées aux pollutions environnementales. De nombreuses études ont démontré le lien direct entre inégalités et vulnérabilité face aux crises environnementales. Un rapport de Notre Affaire à tous sur les « impacts inégaux du dérèglement climatique en France » soulignait en 2020 que « les politiques d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques ne prennent pas assez en compte l’enjeu des inégalités climatiques. Pire, certaines politiques viennent les renforcer ». C’est aussi le cas de ce projet de réforme des retraites.
2 – La question essentielle (et écologique) de la répartition des richesses est mise sous le tapis
Les questions sociales et environnementales sont intrinsèquement liées et nous sommes solidaires des luttes sociales en faveur d’un meilleur partage des richesses et d’une plus grande protection des plus vulnérables. C’est notamment le sens de notre engagement au sein du collectif Alliance écologique et sociale – PJC depuis plusieurs années. Ensemble, nous avons élaboré des mesures pour engager des transformations en profondeur de notre société sur les plans sociaux, économiques et écologiques. Nous sommes aujourd’hui solidaires des revendications de nos alliés syndicaux dans le cadre de cette mobilisation contre le projet de réforme des retraites, considérant qu’il y a d’autres moyens d’équilibrer notre système de retraite.
Cela peut passer par une réforme du système de fiscalité qui jusqu’à présent épargne largement les catégories les plus riches et les grandes entreprises alors qu’elles ont bénéficié d’aides importantes depuis le début de la crise. Comme l’a montré un rapport d’Oxfam France publié le 16 janvier, les ultra riches ont vu leur revenus considérablement augmenter en France et dans le monde alors que l’immense majorité des Français·es subissent l’inflation de plein fouet, avec la hausse des prix et la crise énergétique. C’est le sens de la demande que nous portons à travers l’ISF climatique qui permettrait de dégager des financements pour la transition écologique, tout comme la taxe sur les superprofits engrangés par des grandes entreprises depuis le début de la crise.
Faire peser sur les classes moyennes et défavorisées les défaillances de notre système fiscal et économique creusera les fractures sociales en France et risque de favoriser l’extrême droite qui, au-delà de sa vision excluante, porte une vision de l’écologie totalement rétrograde et dangereuse pour notre avenir.
3 – Cette réforme risque d’encourager la retraite par capitalisation, néfaste pour le climat
Autre point important : cette réforme des retraites risque clairement d’encourager la retraite par capitalisation, comme l’a analysé l’organisation Reclaim Finance, dans une note intitulée « Réforme des retraites : quel impact sur le climat ? ». En imposant soit de cotiser et travailler plus longtemps, soit de toucher une pension de retraite à taux réduit, cette réforme poussera de nombreux travailleurs et travailleuses à se tourner vers d’autres dispositifs, actuellement facultatifs, de retraite « supplémentaire » par capitalisation.
Or, qui porte actuellement ce système de retraite par capitalisation ? Des banques, assureurs et fonds d’investissement qui financent largement les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon). Ces organismes contribuent directement à l’aggravation de la crise climatique, nous éloignant un peu plus des objectifs climatiques de l’accord de Paris. « En plus de principaux acteurs de la gestion des fonds d’épargne retraite en France, les géants américains encore moins scrupuleux comme Blackrock pourraient saisir les nouveaux débouchés qui leur sont offerts », souligne par ailleurs Reclaim Finance. Un glissement dangereux, que ce soit du point de vue social ou environnemental, contre lequel nous devons nous mobiliser.
4 – Cette réforme ne tient absolument pas compte du changement climatique
Savez-vous combien de fois le mot « climat » est évoqué dans le projet de réforme des retraites et dans les documents qui le présentent ? Zéro ! Pour une réforme qui est censée anticiper et préparer notre avenir, c’est tout simplement hallucinant. Comment peut-on encore aujourd’hui concevoir un projet dans un domaine directement lié à l’évolution de nos conditions de travail, de notre état de santé et de notre environnement, pour les années et décennies à venir, sans même se préoccuper du changement climatique déjà à l’œuvre ? C’est pourtant une réalité : nos conditions de travail sont d’ores et déjà lourdement impactées par les conséquences du dérèglement climatique, comme le soulignait une étude de l’Anses, dès 2018.
Dans un rapport de 2019, l’Organisation internationale du travail insistait sur ce point : « certains groupes de travailleurs sont plus vulnérables que d’autres parce qu’ils souffrent des effets du stress thermique à des températures moins élevées. Les travailleurs âgés, en particulier, ont une résistance physiologique plus faible à des niveaux élevés de chaleur. »
Dans son rapport annuel de 2022, le Conseil d’orientation des retraites, peu loquace sur le sujet, lançait également cet avertissement : si par le passé, « chaque génération bénéficiait globalement de conditions de bien-être supérieures à celles qui les avaient précédées (…) il est possible que le ralentissement des gains de productivité conjugués avec des dépenses qui devront être consenties pour prévenir ou s’adapter au changement climatique ne permettent pas une progression des conditions du bien-être telle que celle enregistrée sur les 70 dernières années ». Des éléments totalement ignorés par le gouvernement, qui a donc choisi de baser sa réforme sur des calculs potentiellement invalides et de soutenir un projet d’ores et déjà obsolète.
Cela ne concerne évidemment pas que la réforme des retraites : chaque année, une cinquantaine de milliards d’euros d’argent public sont investis sans prendre en compte le changement climatique et ses conséquences déjà visibles. Mais cette absence totale de prise en compte des enjeux climatiques dans une réforme censée répondre aux défis des prochaines années et décennies est extrêmement inquiétante.
Le projet de réforme des retraites présenté par le gouvernement ne va donc clairement pas dans le bon sens d’un point de vue environnemental. En s’inscrivant dans une logique productiviste, en encourageant des investissements néfastes pour le climat, en accroissant les inégalités au détriment de celles et ceux qui subissent le plus les impacts du dérèglement climatique et en ignorant totalement les enjeux climatiques, cette réforme va à contre-sens d’une transition écologique et sociale juste.
Que Greenpeace prenne position sur des questions qui sortent a priori du champ strictement environnemental peut paraître surprenant. Cela correspond pourtant pleinement à notre vision et à l’analyse systémique que nous portons. Pour Greenpeace, les enjeux environnementaux sont intrinsèquement liés un impératif de justice et nous travaillons donc à promouvoir une société écologique et sociale.
La position exprimée ici est alignée avec la Vision pour les mondes de demain, plébiscitée par les adhérent·es de Greenpeace, consultés en décembre 2020.
Nous sommes donc mobilisé·es, en appui aux syndicats, pour dire notre opposition à un projet de réforme des retraites injuste et contraire aux valeurs écologiques et solidaires que nous portons.
Mais au fait, pourquoi Greenpeace se mêle-t-elle de politique ? La réponse ici.