gig workers

Pourquoi les plateformes n’ont-elles pas conquis la scène musicale et l’organisation de concerts ?

par Charles Umney (Université de Leeds), Dario Azzellini (Université de Cornell) et Ian Greer (Université de Cornell)

Depuis quelques années, on entend dire partout que l’« économie de plateforme » est en plein essor et qu’elle envahit de plus en plus de secteurs économiques. De nombreuses recherches se sont penchées sur la caractérisation et l’évaluation de ce changement : quels sont les avantages et les inconvénients relatifs de ce type de travail par rapport aux emplois « traditionnels » ? Faut-il être optimiste ou pessimiste ? Un grand nombre de ces recherches se sont penchées sur l’expérience des travailleurs « plateformisés » (tels que le covoiturage, la livraison de repas ou le micro-travail).

Nous pensons que certains secteurs sont plus susceptibles que d’autres de faire l’objet d’une prise de contrôle par les plateformes. Vu sous cet angle, il est assez surprenant que si peu de recherches aient examiné les caractéristiques qui font qu’un marché du travail donné est plus ou moins hostile pour le capitalisme des plateformes. Notre enquête de la musique live en Grande-Bretagne et en Allemagne apporte quelques réponses à ces questions.

À première vue, la musique «en live » semble être le type de secteur qui pourrait facilement plateformiser. Les premières plateformes très médiatisées sont intervenues directement dans l’industrie musicale, remodelant la relation entre les musiciens et leur public (par exemple Napster ou Myspace). La musique en direct est étroitement liée à l’idée qu’il existe une « économie de l’expérience », qui figure en bonne place dans l’auto-promotion de nombreuses plateformes. Voir par exemple Sofar Sounds, qui se considère comme une plateforme dédiée à la musique en direct et qui a collaboré avec AirBnB et Uber pour proposer des « expériences » musicales en direct au domicile de particuliers.

Mais nos recherches montrent aussi que la musique vivante résiste au modèle de la plateforme. Nous avons procédé à un examen systématique des intermédiaires de la musique en direct dans ces deux pays, en développant une base de données complète de toute entreprise qui (1) dispose d’une présence significative en ligne, et (2) vise à mettre en relation les acheteurs et les vendeurs sur le marché du travail de la musique en direct.

Les sites que nous avons trouvés sont ceux qui aident les musiciens à entrer en contact avec d’autres musiciens, ceux qui aident les musiciens à entrer en contact avec des lieux de concert potentiels ou ceux qui aident les clients (tels que les personnes qui organisent une fête privée ou un événement d’entreprise) à trouver des musiciens. Nous avons complété ces informations par un certain nombre d’entretiens avec des informateurs clés dans les deux pays.

Sur les plus de 160 sites de notre base de données, très peu ont adopté un modèle conforme à la « plateforme » typique, et ceux qui s’en rapprochent le plus ont tendance à avoir une présence marginale, avec peu de raisons de croire qu’ils pourraient devenir une source majeure de travail pour les musiciens en direct.

Pourquoi ? Tout d’abord, nous résumerons les types d’entreprises que nous avons trouvés et nous examinerons comment et pourquoi ils n’ont pas atteint le stade de la « plateformisation ».

Types de numérisation (partielle) de la musique en direct

Nous avons divisé notre échantillon en deux groupes, en identifiant différents niveaux de numérisation. En général, nous avons constaté que plus les sites étaient numérisés, plus leur fonction passait de celle d’un représentant agissant au nom du musicien (comme dans le cas d’un agent « traditionnel » de la musique en direct) à celle d’un lieu de collecte de données et de mise en relation d’acheteurs et de vendeurs.

Le groupe le plus important, qui représente près de la moitié de notre échantillon, est constitué par les sites web des agents musicaux traditionnels. Dans ce cas, l’activité en ligne n’est qu’un moyen de contacter une agence qui réalise probablement une grande partie de son activité hors ligne. Les agents traditionnels représentent généralement un nombre relativement restreint d’artistes et sont relativement sélectifs en ce qui concerne les artistes figurant dans leurs books. Ils peuvent avoir un monopole sur certains artistes, et le fait d’être représenté par un agent peut constituer une rupture importante dans la carrière d’un artiste.

Les sites web des agents traditionnels servent généralement à faire connaître leurs groupes et à fournir un moyen de contact. Ils n’offrent généralement aucune fonction de comparaison (par exemple, ils permettent rarement aux utilisateurs de trier par prix ou par « qualité », quelle qu’en soit la définition). Si un client souhaite engager un artiste, il doit alors prendre contact hors site et l’agent agit probablement en tant que représentant du musicien dans les négociations. Ils peuvent également prospecter activement pour trouver du travail pour leurs artistes et leur fournir un soutien pour le développement de leur carrière.

Nous avons identifié une deuxième catégorie hybride qui combine les éléments du modèle d’agent traditionnel avec les caractéristiques d’une plateforme numérique. Nous les avons appelées « agences numérisées ». Elles sont moins nombreuses, mais elles présentent généralement un plus grand nombre d’artistes. Elles s’adressent généralement à des artistes « de fonction », c’est-à-dire à des artistes qui agissent en tant que prestataires de services, se produisant en tant que divertissement ou musique d’ambiance lors de fêtes privées ou d’événements d’entreprise.

Cette catégorie se distingue des agents traditionnels par deux aspects principaux. Primo, ils ont normalement des procédures d’inscription beaucoup plus ouvertes et accessibles (en général, les actes doivent remplir un formulaire de demande en ligne comprenant des clips vidéo ou d’autres médias). La sélectivité est généralement plus faible. Cela explique les listes d’artistes beaucoup plus importantes qu’ils ont tendance à présenter. Secundo, les sites étaient davantage « axés sur le client », en ce sens qu’ils se présentaient avant tout comme un moyen pour les clients de parcourir et de comparer leurs œuvres : un site de comparaison de prix plutôt qu’un représentant d’artistes. Ils avaient donc tendance à fournir davantage de données : les prix étaient souvent affichés d’emblée et pouvaient être utilisés pour ordonner les résultats de la recherche. Dans certains cas, les artistes pouvaient également être triés en fonction de classements tels que les étoiles attribuées par les utilisateurs ou d’autres mesures de « popularité ». Mais ces mesures étaient généralement rudimentaires et peu utilisées, les spectacles n’obtiennent en général qu’une poignée d’évaluations soumises par les utilisateurs.

Malgré cette numérisation accrue, ces sites se distinguent encore fortement d’une véritable plateforme (même si certains se décrivent comme tels). Les données comparatives qu’ils recueillent sont très limitées. Et surtout, ils conservent une part importante d’interlocution humaine dans l’organisation des transactions. Les transactions n’étaient jamais entièrement automatisées : le choix d’un artiste par le client n’était qu’un point de départ, après quoi venait la négociation interpersonnelle, facilitée par un manager de l’agence, pour convenir des arrangements finaux avec le groupe (qui pouvaient être complexes, étant donné les circonstances uniques de chaque concert, qui peuvent affecter le prix final).

Enfin, nous avons identifié un petit groupe de sites qui se rapprochent le plus du modèle de plate-forme. Les sites de cette catégorie s’adressent généralement aux musiciens qui cherchent à se faire connaître en tant qu’artistes créatifs sous leur propre nom. Les musiciens et les clients (tels que les clubs et les salles de concert, ou même les particuliers souhaitant utiliser leur maison comme salle de concert) pouvaient créer des profils et publier des demandes, auxquelles d’autres pouvaient joindre leur propre profil, ce qui conduisait à un contact direct entre les titulaires de comptes.

Ces sites étaient les plus faciles d’accès, permettant une inscription instantanée sans vérification de la part des gestionnaires. En tant que tels, ils constituaient de loin le groupe le plus important en termes de nombre d’artistes présentés.

Ils étaient aussi généralement plus sophistiqués dans les données qu’ils rassemblaient pour fournir des comparaisons. Ils cherchaient souvent à se synchroniser avec d’autres plateformes de médias sociaux, donnant parfois aux utilisateurs des « scores » en fusionnant l’activité de leurs autres comptes (Twitter, Youtube, Soundcloud, etc.).

Ils proposent aussi des formes automatisées de discipline du travail. Un site prévoyait par exemple une déconnexion automatique de la plateforme si un musicien se retirait à trois reprises d’un engagement convenu.

Mais nous avons jugé que ces « plateformes de musique en direct » avaient une portée très limitée. Souvent, la grande majorité des profils d’artistes semblaient inactifs et ne fonctionnaient manifestement que de manière très sporadique en tant que sources de travail pour leurs utilisateurs. La plupart des concerts annoncés étaient de piètre qualité, les artistes étant censés jouer gratuitement ou pour une rémunération très faible. À ce stade, ils semblent manifestement incapables de soutenir sérieusement la carrière d’un musicien professionnel.

En effet, nos entretiens nous ont permis de constater que les plateformes les plus établies cherchaient à modifier leur modèle d’entreprise, notamment en essayant de s’associer à des agents traditionnels pour accéder à de nouveaux segments de marché. Cela laisse entrevoir de sérieuses limites à l’extension du modèle commercial des plateformes dans le domaine de la musique en direct.

Pourquoi les plates-formes n’ont-elles pas pris le dessus dans le domaine de la musique en direct ?

Nous pensons qu’il y a trois raisons principales pour lesquelles le modèle de plateforme n’a que peu d’attrait dans le domaine de la musique en direct.

  1. Tout d’abord, en raison de la manière subjective et qualitative dont la valeur est évaluée. En parcourant les sites que nous avons identifiés, il était frappant de constater à quel point les mesures comparatives permettant d’établir la « qualité » étaient peu utilisées et rudimentaires. De nombreux profils d’actes ne comportaient qu’une poignée d’étoiles, presque toutes à cinq étoiles, ce qui les rendait largement inutiles en tant que base de comparaison. Au lieu de cela, les utilisateurs étaient plus souvent encouragés à visionner un large éventail de clips vidéo ou audio, ce qui permettait des comparaisons, mais pas du tout le type de comparaison automatisée et rapide que permettent les plateformes.
  2. Deuxièmement, parce que le domaine de la musique en direct est très fragmenté. Les différents types de travail (« fonction » contre « créatif », puis les différentes « scènes » et segments à l’intérieur de ces grands groupes) ont des méthodes de travail différentes. Les acheteurs y recherchent des choses fondamentalement différentes. Les normes de tarification et les standards sont complètement différents. Ainsi, bien que les musiciens eux-mêmes puissent travailler dans de nombreux contextes différents, ils utiliseront normalement différentes voies pour obtenir différents types de travail, plutôt qu’une plateforme « unique » desservant tous les segments du marché.
  3. Troisièmement, parce que la transaction elle-même contient de nombreuses contingences qui doivent être renégociées. Par exemple, le voyage, l’hébergement si nécessaire, le répertoire, la nourriture, l’équipement : tous ces éléments peuvent impliquer des exigences spécifiques pour chaque musicien, à tel point qu’un contrôle qualitatif personnel des transactions est considéré comme essentiel par toutes les parties concernées.

Est-ce important pour les œuvres musicales ?

Bien que les plateformes n’aient pas pris le dessus, les types de numérisation que nous avons observés ont des conséquences importantes sur les conditions de travail des musiciens.

Tout d’abord, la numérisation rend les intermédiaires moins susceptibles de jouer le rôle de représentant du musicien et plus susceptibles de fournir un lieu de comparaison centré sur le client. Cela crée de nouveaux risques pour les travailleurs du secteur de la musique. Les agences sont moins susceptibles d’investir du temps et des ressources dans la promotion de leurs artistes, et plus susceptibles d’exiger que les artistes produisent ces choses eux-mêmes (par exemple en assemblant des kits de presse électroniques qui sont téléchargés sur le profil d’un groupe). L’accès au marché entraîne des coûts initiaux pour les artistes, avec souvent une chance relativement faible d’obtenir de nouvelles opportunités de travail significatives.

Un autre dilemme que cela pose aux musiciens est celui des occasions où ils sont tenus d’indiquer d’emblée leur cachet de départ, afin que les clients potentiels puissent le passer au crible. Cela signifie que les musiciens doivent annoncer une requête de cachet avant de connaître les détails d’un engagement particulier.

Un intermédiaire plus représentatif, tel qu’un agent traditionnel, se chargerait plutôt de négocier des honoraires potentiellement plus élevés en fonction des moyens perçus par l’acheteur. Les musiciens sont donc « gelés » sur des tarifs de prix spécifiques qui doivent être fixés en tenant compte du bas de gamme du marché.

Deuxièmement, le modèle amplifie la concurrence par les prix en créant un nouveau forum où des milliers d’artistes peuvent être rapidement comparés. La vaste « armée de réserve » de musiciens est rassemblée dans une nouvelle « vitrine » élargie, et il suffit d’un clic de souris pour les classer du moins cher au plus cher, ou vice versa. Sans surprise, nous avons trouvé des cas de tarifs extrêmement bas sur certains sites, dont un où un groupe de quatre musiciens se proposait pour un prix de départ de 100 livres sterling pour une prestation à Londres (le tarif moyen de 25 livres sterling/musicien est à comparer au tarif recommandé par le syndicat des musiciens de 150 livres sterling/musicien).

Enfin, il est frappant de constater que nombre de ces sites combinent la plus grande portée de la numérisation avec la poursuite de méthodes très opaques et « hors ligne » d’extraction des bénéfices. Par exemple, certains sites peuvent prendre un budget suggéré dans une demande de renseignements d’un client et rechercher dans leur liste d’agents celui qui acceptera de travailler pour le tarif le plus bas. Ils peuvent ne pas révéler le budget réel du client au groupe, ce qui leur permet d’accumuler d’énormes commissions qui peuvent être égales ou supérieures à ce que les artistes eux-mêmes reçoivent. L’élargissement de la portée numérique n’est pas nécessairement synonyme de plus grande transparence.

Les limites de l’économie de plateforme

Dans la grande majorité des cas, les sites web ne sont pas des plateformes. En effet, un examen détaillé de la musique en direct montre comment certaines des caractéristiques inhérentes au secteur s’opposent à la plateformisation.

Cela signifie aussi que nous devons reconsidérer l’hypothèse selon laquelle les formes d’organisation de type plateforme avec une tendance inexorable à la hausse. Si cela peut être vrai dans certains secteurs d’activité, nous pensons qu’il existe d’autres secteurs – où la nature des services est complexe et contingente, où les marchés sont fragmentés et où les jugements de valeur sont très subjectifs – qui sont susceptibles de se révéler inhospitaliers pour ce type de forme d’organisation.

Néanmoins, les organisations que nous avons examinées sont de plus en plus souvent des créations numériques partielles, une sorte de missing link (chaînon manquant)  entre le marché des services qui reste hors ligne et une plateforme d’intermédiation. Dans de nombreux cas, cela a eu des conséquences négatives pour les musiciens qui ressemblent aussi à celles déjà identifiées auprès des travailleurs de plateformes véritables.

 

Traduction : Stéphen Bouquin // Article publié par le CERIC (Centre for Employment Relations, Innovation and Change)

https://cericleeds.wordpress.com/2019/01/16/the-limits-of-the-platform-economy-why-havent-platforms-taken-over-live-music/

Cet article résumé le rapport de recherche Limits of the platform economy : digitalization and marketization in live music commandité par la Fondation Hans Boeckler (Allemagne).

 

 

Le gig work aux États-Unis : entre travail indépendant et job salarié, faits privés et destins collectifs

Par Bruno Cartosio //

Dans le gig work, deux flexibilités se rencontrent : celle de l’individu et celle du système économique. Dans l’absolu, ce devrait être la rencontre heureuse d’intérêts convergents : l’argent gagné d’une part, la performance obtenue d’autre part. Sans débordements ; la tâche demandée est acceptée, la rémunération convenue est payée et chacun est « maître de soi » comme avant. En réalité, il n’en va pas ainsi, ni pour les travailleurs, ni pour les entreprises, ni du point de vue des lois qui classifient et réglementent les relations de travail.

La seule exception, à vrai dire partielle, y compris en termes de pouvoir de négociation, est constituée par les véritables travailleurs indépendants que sont les indépendants ou les travailleurs « free-lance », mieux encore, les « professions libérales ». Il ne fait aucun doute que ce sont les sociétés-plateformes qui profitent le plus de cette rencontre entre l’offre du travail précaire et la volonté des travailleurs de l’accepter, entre la faible rémunération perçue par les travailleurs et les coûts de main-d’œuvre inférieurs pour les entreprises. En témoignent les profits importants accumulés par les entreprises à ce jour et le fait qu’aucun gig worker ne s’est enrichi ou n’a gravi l’échelle sociale grâce au travail précaire-intermittent-connecté. Pour dissiper tout doute quant au cui prodest [à qui cela profite ?], les entreprises se sont jusqu’à présent opposées avec détermination à toute tentative de reclassement des gig workers sous la catégorie des salariés plutôt qu’en tant qu’indépendants.

Mais il est tout aussi vrai comme bon nombre d’enquêtes le démontre, que le nouveau précariat « connecté » est également plébiscité par une large section des travailleurs qui le pratiquent. C’est tout à fait compréhensible et possible. En effet, l’attrait individualiste de la flexibilité, de la liberté de choix et de la réduction des contraintes hiérarchiques est devenu très fort. Toutefois, il existe aussi des études très sérieuses qui mettent les opinions favorables ou défavorables plus ou moins sur un pied d’égalité [1]. En tout état de cause, ceux et celles qui ont peu ou pas vraiment d’alternatives aiment ce qu’ils trouvent, pour ainsi dire, peut-être en cherchant encore quelque chose de mieux, comme cela s’est produit lors de la grande résignation. Les gig workers travaillent sans stabilité d’emploi dans le présent et peut-être sans en chercher, et presque toujours sans les salaires et les avantages des employés stables et en acceptant les emplois qu’ils trouvent avec une dose de mépris (juvénile ?) pour leur propre avenir. Ils ne réagissent cependant qu’à la frustration de leurs propres attentes lorsqu’ils se rendent compte, tôt ou tard, que les revenus sont plus bas que prévu et ne suffisent pas pour vivre ; que leur liberté disparaît lorsque la pauvreté des revenus collectés les contraint à des engagements répétés avec peu ou pas de répit ; que les frais qu’ils doivent payer amputent leurs pouvoir d’achat ; qu’en cas d’accident ou de maladie, ils se retrouvent sans couverture et sans revenu ; que le revenu réel qu’ils reçoivent est très bas alors que les bénéfices des plates-formes pour lesquelles ils travaillent semblent très élevés… C’est alors que les réponses à l’insatisfaction cessent d’être individuelles pour devenir collectives, solidaires et revendicatives à l’égard des plateformes. Et c’est à ce moment-là que les subjectivités des travailleurs, les intérêts des entreprises et les obligations réglementaires des législateurs se heurtent, comme nous le verrons.

La seule des trois composantes à se positionner sans équivoque à l’égard du Gig work est la composante entrepreneuriale, à l’inverse des travailleurs des plates-formes. En ce qui concerne ceux qui continuent à se considérer comme des travailleurs indépendants, il y a de plus en plus de minorités agissantes qui se réfèrent à des initiatives organisationnelles de base pour donner une force collective  à de « simples » demandes d’augmentation des tarifs et d’amélioration des conditions de travail, afin de faire pression – peut-être en accord avec les syndicats – pour une décision législative selon laquelle leur travail est un travail d’employé et non de travailleur indépendant. Parmi les drivers (chauffeurs), et qui forme la composante la plus nombreuse et la plus mobilisée, beaucoup craignent de retomber dans leur condition de travail précaire subordonné et réglementé dont ils avaient l’intention de se libérer. C’est pourquoi ils défendent avant tout leur autonomie, même si les partisans d’une association pour obtenir de meilleures conditions de rémunération et de travail se sont également multipliés parmi eux. D’autres considèrent comme souhaitable et nécessaire d’être classés comme salariés, afin de pouvoir se doter d’une organisation de type plus proprement syndical qui obtiendrait les prérogatives non seulement salariales que la loi garantit aux salariés.

Des prérogatives qui sont largement ignorées par les entreprises-plateformes. Dès le début, leurs pratiques ont constitué une série de « défis conceptuels et pratiques pour les lois et les politiques publiques ». Au centre de leurs défis juridiques se trouvaient la question de savoir si les plateformes appartiennent à un secteur d’activité (services de transport) ou à un autre (commerce), à propos de la nature inhabituelle et particulière du gig work (précaire dans tous les cas ; mais indépendant ou subordonné ?), et donc la relation avec la législation du travail existante, en particulier le National Labor Relations Act aux Etats-Unis, qui stipule que les travailleurs indépendants ne peuvent pas former de syndicats et avoir accès à des formes de négociation collective) [2]. Comme ce fut le cas avec d’autres sociétés de la Big Tech, au début de ce siècle, l’innovation des plateformes a été si soudaine et sans scrupules qu’elle a laissé derrière elle la capacité de la loi à la réglementer. En général et dans le domaine des relations de travail [3], les capitalistes des plateformes ont tiré de la lenteur ou de l’absence de législation les énormes avantages économiques qu’ils sont réticents à abandonner. Ces dernières années, les chroniques locales ont été ponctuées par des manifestations contre ces plateformes, qui dans certains cas – comme à New York – ont permis d’arracher des accords et des concessions et dans d’autres cas ont abouti à des arrêts de travail ou à des grèves à l’échelle nationale. Ce fut le cas, par exemple, de la première grève générale des chauffeurs californiens d’Uber et de Lyft qui ont bloqué leurs services à Los Angeles, San Diego et San Francisco le 25 mars 2019, suivie d’un arrêt similaire qui a interrompu tous les services dans au moins vingt-cinq villes à travers les États-Unis le 8 mai suivant (avec également des arrêts de solidarité en dehors des Etats-Unis).

La Californie, l’État mère des entreprises qui ont semé la terreur sur ce terrain, illustre la manière dont les « défis juridiques » ont été abordés par les travailleurs et les représentants politiques. Je résumerai ici, en la simplifiant, la bataille juridico-politique californienne et nationale autour de la classification des travailleurs. Les manifestations et l’initiative législative visant à démêler la question juridiquement décisive de la classification des gig workers ont débouché en juillet 2019 sur l’adoption du Projet de loi 5 par l’assemblée de l’Etat californien (AB5). Une grande manifestation a eu lieu le 9 juillet 2019 devant l’Assemblée législative à Sacramento, la capitale de l’État en soutien à la nouvelle loi voulue par la majorité démocrate. Des syndicats nationaux tels que les employés des services (SEIU), les Teamsters (LBT) et les travailleurs de la communication (CWU), ainsi que certaines collectifs de base, s’y sont alignés. Les chauffeurs de Gig Workers Rising, une organisation de chauffeurs née en 2018, et de Rideshare Drivers United, née en 2019, ont organisé une caravane retentissante qui a traversé tout l’État, de Los Angeles à Sacramento, en trois jours. AB5 est entrée en vigueur le 1er janvier 2020, établissant les critères (résumés en trois points essentiels connus sous le nom du test ABC [4]) déterminant si la relation de travail est de nature autonome ou dépendante . Suivant cette loi, les gig workers – chauffeurs, coursiers et livreurs de repas – devraient être majoritairement classés comme des salariés, c’est-à-dire des travailleurs qui ont droit à toutes les garanties des travailleurs réguliers : salaire minimum, allocations de chômage, assurance maladie et accident, congés de maternité et de maladie, remboursement des frais, etc [5].

Une partie des chauffeurs, les journalistes, les photographes et les écrivains, et surtout les routiers (qui ont d’ailleurs obtenu une dérogation) sont restés opposés à la loi, peut-être même poussés à le faire par les améliorations proposées par les plateformes qui cherchaient à affaiblir les mobilisations. A l’égard de la loi en tant que telle, la réaction des plateformes a été immédiate et totale, démontrant au passage l’avantage économique et l’importance stratégique pour elles de maintenir le gig work en l’état. Uber, Lyft, DoorDash, Instacart et Postmates ont monté une campagne extrêmement agressive contre l’AB5. Ils ont investi plus de 224 millions de dollars en lobbying et en propagande pour lancer et soutenir leur propre proposition d’abrogation 22 (Prop 22), sous la forme d’un second référendum qui a été soumis au vote lors d’une élection référendaire en novembre 2020. Mais le camp des travailleurs et des syndicats n’est pas resté inactif très longtemps: une coalition s’est formée contre la Prop 22, qui a donné lieu à une nouvelle manifestation de masse juste avant les élections (celle-là même où Trump a été battu par Biden), à laquelle ont participé également les travailleurs de l’industrie du sexe et les syndicats, et avec laquelle des groupes d’entreprises des Small Tech, « inorganisées » de la Silicon Valley ont sympathisé. Si le résultat du référendum d’initiative populaire a donné une victoire aux défenseurs prop22 (donc aux camp des anti-AB5) pour les travailleurs [6], la mobilisation a été positive pour la remobilisation, l’organisation et le militantisme des organisations de base existantes. Ceci a donné naissance à d’autres initiatives, plus petites, entre autres dans la Silicon Valley, qui ont consolidées les relations avec certains des plus grands syndicats, comme dans le cas de la Mobile Workers Alliance, qui a adhéré à la section locale 721 du SEIU à Los Angeles. Aujourd’hui, rien qu’en Californie, où Uber et Lyft se sont diversifiés par rapport à leurs première offre de service de transport, près d’un demi-million de gig workers sont actifs et des groupes organisés comptant des dizaines de milliers de membres qui ont réussi à arracher des concessions et des avantages aux plateformes [7].

Malgré la majorité démocrate dans l’État de Californie, 59 % des électeurs californiens ont approuvé la Prop 22, annulant de fait Ab5 et revenant à la classification des gig workers en tant qu’indépendants sous contrat privé (auxquels les règles protégeant les employés ne s’appliquent pas). L’universitaire Robert Reich, ancien ministre du travail de Bill Clinton, s’était exprimé à l’époque sur le danger de ce succès, soulignant son importance en tant que possible précédent négatif au niveau national : « Prop 22 est une aubaine formidable pour les employeurs et une défaite énorme pour les travailleurs. Cela encouragera d’autres entreprises à reclasser leur main-d’œuvre et, une fois qu’elles l’auront fait, plus d’un siècle de protection des travailleurs disparaîtra soudainement »[8]. C’est également la raison pour laquelle le syndicat SEIU et les organisations de chauffeurs ont intenté un procès à l’État de Californie, arguant que Prop 22 est anticonstitutionnelle. En 2021, la cour supérieure de l’État leur a donné raison : ils sont bel et bien des employés (salariés). Mais ce n’était pas fini. Les plateformes ont fait appel à leur tour et, le 13 mars 2023, la cour d’appel a annulé le jugement et leur a donné raison : ce sont bel et bien des travailleurs indépendants. Fin mars, le syndicat SEIU n’avait toujours pas déposé le nouveau recours alors qu’il s’y était engagé.

Le déploiement des Républicains californiens en faveur de Prop 22 a coïncidé avec la politique du Parti Républicain au niveau national. Le 6 janvier 2021, jour où les partisans de Donald Trump ont pris d’assaut le Capitole – quelques jours avant l’entrée en fonction du nouveau président Joe Biden – l’administration sortante a publié sa réglementation sur les contrats des travailleurs indépendants, qui modifie en faveur des entrepreneurs les critères du Fair Labor Standard Act (Flsa) en vertu desquels les classifications d’emploi sont effectuées. Mais avant son entrée en vigueur, qui devait avoir lieu en mars 2021, la « règle Trump » a été suspendue puis annulée par l’administration Biden. Là encore, la réaction des politiciens républicains et des entreprise de plateforme a été immédiate et véhémente. Les entreprises, qui ont formé la Coalition for Workforce Innovation, ont poursuivi le ministre du travail, Marty Walsh, devant un tribunal fédéral du Texas pour vice de procédure dans l’action d’abrogation de son ministère. Ils ont gagné le procès, et les réglementations trumpiennes sont entrées en vigueur. Pendant que la procédure judiciaire se poursuivait en Californie, le ministre Walsh, ancien maire de Boston et ancien syndicaliste, a travaillé sur la nouvelle réglementation, qui a finalement été publiée en octobre 2022 et est entrée en vigueur en décembre à la place de la réglementation trumpienne. En substance, le ministère du Travail stipule que ceux qui sont « économiquement dépendants » de l’activité qu’ils exercent – c’est-à-dire : ils travaillent pour gagner leur vie, et pas pour compléter d’autres revenus – doivent être considérés comme des salariés à part entière et doivent bénéficier de toutes les prérogatives définies par les lois du travail (NLRA et FLSA) [9]. Pour résumer, on peut dire que la nouvelle réglementation fédérale reprend les critères de l’AB5 et rend plus difficile de faire passer une grande partie des gig workers pour des indépendants, alors que le dernier arrêt californien qui interviendra trois mois plus tard va dans le sens inverse. La bataille n’est pas terminé …

Entre-temps, les travailleurs ont pris conscience des enjeux du problème et des revendications, des mobilisations et des grèves contre les entreprises de plateforme ont essaimé un peu partout. Les chauffeurs ont été les plus entreprenants en s’organisant dans des comités de solidarité, de partage d’informations et d’initiatives de pression politique (advocacy groups). Les médias, et pas seulement ceux proches du monde du travail, rapportent les témoignages de travailleurs qui ont fait l’expérience de l’écart existant entre les promesses des plateformes et la réalité bien moins rémunératrice et gratifiante. Par conséquent, les organisations de chauffeurs se multiplient dans les grandes villes émergent.

Outre les organisations Rideshare Drivers United, Gig Workers Rising et Mobile Workers Alliance, citées plus haut, les plus connues étaient et sont encore les organisations californiennes We Drive Progress, Gig Workers Collective et maintenant California Gig Workers Union, créée en octobre 2022. Des structures de liaison et de conseil pour les chauffeurs ont également vu le jour pour soutenir les activités organisationnelles-revendicatives, telles que la Driver’s Seat Cooperative, créée en 2019 et active à Los Angeles, Denver et Portland (Oregon). En revanche, à New York, il y a l’Alliance des travailleurs du taxi, (qui fait partie de la Coalition directe, qui revendique l’adoption du test californien Abc dans l’État de New York) et la Coopérative des chauffeurs, lancée en mai 2021 par 2500 chauffeurs qui partagent des informations, redistribuent le travail de manière équitable et ont leur propre application, afin d’offrir des services plus rémunérateurs pour les membres. Le cas de la Drivers Coop est intéressant. Il est lié à l’Independent Drivers’ Guild (IDG), créée en 2016 par des accords économiques et « politiques » entre Uber et l’International Association of Machinist and Aerospace Workers (IAM, à laquelle l’IDG est affiliée), et qui représente 80 000 chauffeurs à New York City et 250 000 autres dans l’État de New York lui-même et dans le Connecticut, le New Jersey, le Massachusetts et l’Illinois. L’IDG s’enorgueillit d’avoir forcé la New York City Taxi and Limousine Commission à augmenter le salaire minimum des chauffeurs de 9 % et, comme elle l’affirme fièrement sur son site web, « est la première organisation de chauffeurs du pays en raison de ce qu’elle a obtenu par des actions directes et consultatives » ; « Nous sommes des travailleurs d’Uber et de Lyft unis pour un travail équitable. […] Nous sommes dirigés par des chauffeurs et soutenus par des chauffeurs »[10].

En conclusion

Le conflit des organisations des drivers (chauffeurs) en Californie s’est développé de manière autonome et a parfois été accompagné par les syndicats dans ses premiers pas des actions de protestation – différentes par leur taille et leurs motivations (qui ne concernent pas non plus les relations de travail) – qui ont eu lieu dans ou autour des grandes entreprises de Big Tech, d’Amazon à Google en passant par Apple et Microsoft. Les protagonistes de ces actions ont été les derniers à descendre sur le terrain du conflit économico-social : ils étaient les derniers venus par rapport aux figures professionnelles et commerciales de l’ère industrielle, mais surtout ils étaient différents à la fois en termes de terrain sur lequel leur combativité s’exprime et des pouvoirs contre lesquels elle est dirigée, et des formes associatives et les instruments organisationnels auxquels ils ont recours. Il n’est pas nécessaire de rappeler la fonction nécessaire que remplissent, parmi ceux-ci, l’internet et les réseaux sociaux. La nouveauté des modes de communication et les ambiguïtés mêmes de la classification du gig work – et dans la jeunesse commune – offrent la possibilité de contourner les divisions corporatives. Ces méthodes sont différentes de celles du passé syndical traditionnel et elles contribuent à redéfinir les critères et le contenu, voire les principes mêmes, de l’associationnisme et de l’organisation :  « Les nouveaux syndicats de Philadelphie ne sont pas tous des syndicats au sens traditionnel du terme », écrit David Murrell en relatant l’histoire récente du Philly Workers for Dignity et de la Pennsylvania Domestic Workers Alliance, le syndicat des travailleurs domestiques qui ont toujours été empêchés de s’organiser [11].

Ces dernières années, l’actualité a beaucoup parlé des luttes – « impensables », comme celles des concierges de Los Angeles ou des cuisiniers de Las Vegas… – des travailleurs indépendants fictifs du commerce : d’abord les Fight for $15 (campagne nationale pour un salaire minimum à 15$/heure qui ont fleuri dans les magasins McDonald’s et qui ont été couronnés par des succès retentissants dans de nombreuses villes et certains États ; maintenant les serveurs de Starbucks et les baristas de milliers de pubs qui s’organisent pour syndiquer leurs collègues travailleurs et obtenir le droit d’une négociation collective. Enfin, il faut également mentionner les mutations et les solidarités qui émanent d’autres organisations dans lesquelles les faux-vrais sont reconnus, des associations d’autodéfense collective et de secours mutuel qui ne se limitent pas seulement à des prestations de services de piètre qualité. Le modèle le plus puissant parmi ces organisations est le Freelancers Union (FU), fondé en 1995 sous le nom de Working Today à New York, à l’initiative de Sara Horowitz, avocate en droit du travail et ancienne syndicaliste du syndicat SEIU, et qui compte aujourd’hui plus d’un demi-million de membres dans tout le pays.

Dans le prolongement de la législation qui empêche les travailleurs indépendants de s’organiser en syndicats – et malgré l’étiquette : Union – les Freelancers est une association non syndicale qui organise les travailleurs indépendants de toutes professions selon les principes du mutualisme et fournit à ses membres des informations, des conseils juridiques, une assistance fiscale et des plans d’assurance. Mais ce n’est pas tout. Bien que FU ne puisse officiellement exercer une capacité de négociation collective ou encore d’action politique directe, il promeut activement les revendications économiques des travailleurs indépendants et l’initiative politique sur le terrain législatif. Par exemple, en 2016, il a joué le rôle de courtier et de conseiller dans la conclusion susmentionnée des accords de New York entre Uber et IAM et dans la formation de l’Independent Drivers Guild. Au cours des derniers mois de pandémie, il a aidé à obtenir l’extension aux travailleurs indépendants des allocations de chômage d’urgence instituées par Trump et Biden. Mais l’initiative politique la plus intéressante est celle qui s’est développée autour de l’agitation en 2017 qui ont permis au Fu et à l’Union nationale des écrivains (National Writers Union), de faire adopter à New York le Freelance Isn’t Free Act pour protéger le respect des contrats et le paiement en temps voulu des prestations des freelances. Ce succès a tout déclenché une réaction en chaîne qui s’est étendue à d’autres villes, jusqu’à Los Angeles et qui a aussi élargi le front des alliances.

Les dispositions adoptées des années plus tôt par la ville de New York ont été introduites adoptées par l’assemblée de l’Etat en 2022, mais le gouverneur Kathy Hochul y a opposé son veto au début de l’année 2023. Le projet de loi a été immédiatement soumis à nouveau (par l’intermédiaire de députés du même parti démocrate que le gouverneur). La bataille est donc loin d’être terminée d’autant que les organisations et associations de base qui caractérisent la scène new-yorkaise sont en plein essor et se mobilisent au sein de coalitions actives en soutien à l’initiative législative pour l’adoption du test Abc californien  (et du Pro Act de Biden)[12].

La liste fournie par le Freelance Solidarity Project mérite d’être mentionnée et témoigne de son caractère large et inclusif : American Photographic Artists, American Society of Media Photographers, Authors’ Guild, Graphic Artists Guild, National Association of Science Writers, National Press Photographers Association, Science Fiction and Fantasy Writers of America ; et enfin, à côté de ceux-ci : le syndicat SEIU et la puissante fédération des Teamsters (qui organise les chauffeurs de poids lourd et une partie des travailleurs de la logistique). Toutes ces associations sont regroupées sous le nom composite de NY Direct Coalition – DIRECT étant un acronyme pour : Do It Right Employment Classification Test -Coalition – qui se décrit comme un « groupement de travailleurs, de consommateurs, d’activistes et d’avocats luttant pour l’adoption d’une loi sur le fair-play dans l’emploi dans l’État de New York » et qui comprend, parmi ses organisations membres de 32BJ et Make the Road New York (affiliés au SEIU), New York Taxi Workers Alliance, Workers United, National Employment Law Project, National Domestic Workers Alliance, Nail Salon Workers Association et Legal Aid Society.

Traduction Stéphen Bouquin

 

Bruno Cartosio est professeur de socio-économie à l’université de Bergamo et collaborateur à la revue Officina Primo Maggio. Vous pouvez lire la première contribution de l’auteur sur le même thème : Gig work entre passé et futur

Notes

[1] Institut Aspen, “The Future of Work Initiative”, Toward a New Capitalism, 2016, pp. 16-17.

[2] O. Lobel, “The Gig Economy & the Future of Employment and Labor Law “, University of San Diego, School of Law, Legal Studies Research Paper Series, Research Paper No. 16-223, mars 2016, p. 2 ; à l’adresse : http://ssrn.com/abstract = 514132 .

[3] S. Zuboff, Le capitalisme de surveillance (Il capitalismo della sorveglianza, Luiss University Press, Rome 2019) p. 115. Selon les termes de l’un des dirigeants de Google, cités par Zuboff « La haute technologie va trois fois plus vite que les affaires courantes. Et les gouvernements vont trois fois moins vite que les entreprises ordinaires. Par conséquent, l’écart est de neuf […] C’est pourquoi il faut s’assurer que le gouvernement ne se mette pas en travers du chemin en ralentissant les choses. »

[4] La loi californienne AB5 s’appuie sur une décision rendue dans une affaire portée devant la Cour suprême de Californie en 2018, Dynamex Operations West, Inc. vs. Superior Court of Los Angeles. Dans l’affaire Dynamex de 2018, la Cour suprême de Californie a statué que les entreprises doivent utiliser un test à trois volets (connu sous le nom de test ABC) pour déterminer s’il convient de classer les travailleurs en tant qu’employés ou entrepreneurs indépendants. Ce test part du principe que les travailleurs sont des salariés, sauf si l’entreprise qui les embauche peut prouver les trois éléments suivants : 1). Le travailleur est libre de fournir des services sans le contrôle ou la direction de l’entreprise. 2). Le travailleur effectue des tâches qui sortent du cadre habituel des activités de l’entreprise. 3). Le travailleur est habituellement engagé pour une activité, une profession ou une entreprise établie de manière indépendante et de même nature que celle impliquée dans le travail effectué.

[5] J. Bhuiyan, “Uber and Lyft drivers swarm Sacramento as lawmakers advance gig workers’ rights bill”, in Los Angeles Times, 10 juillet 2019 ; at : Uber and Lyft drivers swarm Sacramento as lawsmakers advance gig workers’ rights bill – Los Angeles Times (latimes.com) ; M. Pawel, “You Call It the Gig Economy. California Calls It ‘Feudalism’, dans New York Times du 12 septembre 2019 ; E. Rosenberg, ‘Can California rein in tech’s gig platforms ? A primer on the bold state law that will try”, Washington Post du 14 janvier 2020.

[6] Après leur succès californien, les mêmes sociétés ont fait une tentative similaire dans le Massachusetts, mais leur proposition de référendum n’a pas été autorisée à figurer sur le bulletin de vote lors des élections de mi-mandat de novembre 2022. H. Chitkara et A. Kramer, “The fight over gig work is ugly, expensive, and nowhere over”, in Protocol, 4 février 2022 ; at : Uber, Lyft are bringing millions to Prop. 22 in Mass – Protocol ; K.Browning, “Massachusetts Court Throws Out Gig Worker Ballot Measure”, in New York Times, 14 juin 2022 ; at : Massachusetts Court Throws Out Gig Worker Ballot Measure – The New York Times (nytimes.com). D’autres initiatives commerciales ont été lancées dans d’autres États, notamment à New York, dans le New Jersey et dans l’Illinois.

[7] S. Kessler, “Google Engineers, Uber Drivers, and the Voices of a New Tech Labor Revolution”, dans OneZero, 24 février 2020 ; à l’adresse : Google, Lyft, and Uber : Voices of the Tech Worker Revolution | OneZero (medium.com).

[8] Z. McNeill, “A Huge Loss for Workers” : CA Court Rules that Gig Workers Are Contractors, in Truth out, 17 mars 2023,

[9] S. Zhang, “Biden Officials Propose Reclassifying Uber, Lyft Gig Workers as Employees” in Truth out, 11 octobre 2022 ; “Labor Department Moves to Change Worker Classification Rule”, in Bloomberg, 11 octobre 2022 ; at : Labor Department Moves to Change Worker Classification Rule (3) (bloomberglaw.com) ; G. Thompson, “How Millions of Gig Workers Could be Impacted by a New Labor Rule”, in Capital and Main, November 9, 2022 ; at : How Millions of Gig Workers Could Be Impacted by a New Labor Rule (capitalandmain.com) ; K. Weisz and D. Boyle, “Why independent contractor classification is essential”, 20 décembre 2022 ; à : DOL Proposed Rule & Worker classification | Deloitte US.

[10] Aa.Vv., U.S. Workers’ Organising Efforts and Collective Actions, cit. p. 41.

[11] D. Murrell, “Philly’s New Generation of Unions is Young, Progressive, and Coming to a Coffee Shop Near You”, dans Philadelphia Magazine, 17 octobre 2020 ; à l’adresse : Inside the New Generation of Philadelphia Unions (phillymag.com).

[12] Le soutien général au PRO Act, la loi que Biden lui-même voulait en faveur de l’organisation syndicale sur le lieu de travail, n’est pas sans réserves de la part de la Freelancers Union, ce qui prouve l’indépendance politique de l’association malgré ses bonnes relations avec les législateurs démocrates de l’État de New York. En tant que groupe de pression, Fu demande instamment que des amendements soient apportés au projet de loi, déjà adopté par la Chambre des représentants mais pas par le Sénat, afin de protéger également les travailleurs indépendants ; Freelancers Union, The PRO Act and Facts about the PRO Act, avril 2021 ; à l’adresse : The PRO Act (freelancersunion.org).

 

SEIU : Service Employees International Union (SEIU) est un syndicat qui représente près de 1,9 million de travailleurs dans plus de 100 professions aux États-Unis et au Canada. Le SEIU se concentre sur l’organisation des travailleurs dans trois secteurs : les soins de santé (plus de la moitié des membres travaillent dans le domaine des soins de santé), les services publics (employés du gouvernement) et les services immobiliers (y compris les concierges, les agents de sécurité et les travailleurs des services de restauration). Le SEIU compte plus de 150 sections locales. En 1995, le président du SEIU, John Sweeney, a été élu président de l’AFL-CIO, la principale confédération de syndicats. En 2003, le SEIU a été l’un des membres fondateurs du New Unity Partnership, une organisation de syndicats qui s’est engagée à mieux organiser les travailleurs non syndiqués en syndicats. En 2005, le SEIU a été l’un des membres fondateurs du Change to Win, qui a poursuivi un programme réformiste, critiquant l’AFL-CIO pour avoir concentré son attention sur la politique électorale, au lieu d’encourager la syndicalisation face à la baisse des effectifs syndicaux. Ces divergences ont éclaté à la veille de la convention 2005 de l’AFL-CIO, lorsque le SEIU et les Teamsters ont annoncé leur désaffiliation de l’AFL-CIO. Le Change to Win a tenu sa convention fondatrice en septembre 2005. Au cours de la décennie suivante, plusieurs membres de Change to Win se sont désaffiliés et ont réintégré l’AFL-CIO, laissant le SEIU, les Teamsters et les United Farm Workers comme membres restants. La décision du SEIU de se séparer de l’AFL-CIO est considérée comme controversée par certains experts du monde du travail. Après la désaffiliation, le SEIU a continué à connaître une croissance significative de ses effectifs. M. Stern s’est retiré de la présidence de l’UIES en 2010 et a été remplacé par Mary Kay Henry, une organisatrice de longue date et membre du personnel du syndicat, et sa première femme présidente.