Chaos et conflits sociaux dans la logistique
Nous publions deux articles à propos de la désorganisation mondiale dans le secteur de la logistique et la résurgence de la conflictualité sociale. La combativité accrue des travailleurs de la logistique est un phénomène récent qui peut s’observer dans plusieurs pays. Tout d’abord au Royaume-Uni où les travailleurs de la Royal Mail – qui prennent en charge le dernier kilomètre dans la livraison des colis d’Amazon – ont fait grève à 19 reprises ces six derniers mois, pour une augmentation des salaires qui tient compte de l’inflation mais aussi contre une dégradation de leurs conditions de travail. Dans plusieurs pays, les conducteurs de train (fret et passagers) ont également renoué avec la grève. Cet été, des grèves «sauvages» ont eu lieu dans plusieurs entrepôts d’Amazon Royaume-Uni. En Italie, en France et en Pologne, toute une série d’entreprises ont également été confronté à des grèves (Geodis, GLS, UPS, Amazon, DHL). Les dockers de plusieurs ports d’Europe (Gênes, Pirée et bien sûr Felixstowe et Liverpool) ont également manifesté par la grève leur volonté farouche de préserver leur pouvoir d’achat ainsi que leur statut de travailleurs portuaires.
Le premier article – « La fièvre des conteneurs » – apporte des éléments de compréhension sur la désorganisation des chaînes approvisionnement et la hausse des prix qui s’en est suivie. La transformation des conditions de production/consommation par le développement de vastes chaînes de valeur mettent la logistique au premier plan. En même temps, il est important de souligner que pour les auteurs de ces articles, la logistique mondiale n’est pas un système complexe créé par un sujet abstrait (le capital), mais « l’expression inversée et contrainte de la coopération manuelle et intellectuelle des travailleurs. » Certes, cette coopération a été instituée par les entreprises mais cela n’empêche pas les travailleurs en question de développer un savoir organisationnel à partir de leurs connaissances pratiques qui représentent un savoir collectif que le capital a beaucoup de mal à s’approprier, y compris à partir de formalisations organisationnelles (automatisation et gestion des flux par algorithmes).
« La désorganisation vue de l’intérieur » est le second article que nous portons à la connaissance de nos lectrice et lecteurs. Il est composé d’extraits d’entretiens avec des dockers employés dans le port de Hambourg et des cheminot·e·s qui travaillent dans les chemins de fer en Allemagne et en Autriche. Ces travailleurs portent un regard critique sur les chaînes de valeur et les raisons de dysfonctionnements dans un contexte d’interruptions et de variations dans le flux de marchandises. Les conditions de travail se dégradent, les journées de travail s’allongent et toutes les structures font face à un manque chronique de personnel alors que l’automatisation est loin de pouvoir régler ces problèmes. La disponibilité pour la grève ne résulte pas seulement de la perte de pouvoir d’achat à cause de la flambée de l’inflation mais se nourrit aussi de la dégradation des conditions de travail.
S. Bouquin
La fièvre des conteneurs
Heinrich Heine a écrit en 1843 que le chemin de fer « tuait » l’espace, ne nous laissant que le temps. Karl Marx a condensé cette idée dans la célèbre phrase selon laquelle les nouveaux moyens de communication et de transport détruisent (ou annulent) l’espace par le temps. L’industrialisation a permis au capital de couvrir des distances (même longues) toujours plus rapidement et, grâce à la baisse des coûts de transport, de distribuer la production « au-delà de toute barrière spatiale » (Grundrisse). L’expansion de l’utilisation de l’énergie et des transports a bien fonctionné pendant plus de 150 ans pour ouvrir de nouveaux marchés et des réservoirs de main-d’œuvre, pour augmenter la productivité et raccourcir les délais d’exécution. Lire la suite (…)
La désorganisation vue de l’intérieur
Les échanges avec les travailleurs de divers ports européens, les entretiens avec des cheminots, les multiples grèves du rail au Royaume-Uni etc. révèlent qu’il existe une exaspération généralisée parmi de larges secteurs du monde du travail. Ils sont en colère contre un patronat d’abord centré sur la finance, qui obtient beaucoup d’argent (de l’État) pour l’investir dans des projets d’automatisation et de numérisation. L’inflation est également un problème majeur. Les échanges suivants ont eu lieu après les arrêts de travail du mois de mai et juin 2022. Lire la suite (…)
(2 janvier 2023)